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La BD du jour : Tristan & Yseult d’Agnès Maupré et Singeon (Gallimard BD)



Lorsque Tristan débarque dans les terres reculées d’Irlande il ne sait qu’il trouvera en Yseult la jeune fille aux cheveux d’or « demandée » par son oncle le roi Marc. Il ne sait pas non plus que le désintérêt du début, passé au philtre d’amour, accouchera d’une passion dévorante et réciproque pour la jeune fille. Revisite stimulante et bien sentie d’une œuvre atemporelle !

Tristan, chevalier sans peur livre un combat héroïque contre un dragon et cette lutte sans espoir accouche pourtant de la victoire du plus téméraire des deux. Brûlé dans le combat, recouvert de croûtes épaisses, le jeune homme sera sauvé par Yseult la blonde et sa mère, qui lui concocte une potion magique à base de fleurs. Yseult vite séduite par Tristan est prête à se donner à lui comme le veut la tradition. Mais le jeune chevalier ne la regarde même pas, venu qu’il était dans ces contrées lointaines pour trouver la fille dont son oncle, le roi Marc, lui a remis un cheveu. Porté par le serment de ramener Yseult pour l’offrir au roi, Tristan va pourtant bouleverser l’ordre des choses en buvant, sans le savoir, des gouttes d’un mystérieux philtre d’amour offert à Yseult par sa mère…

Tristan et Yseult. Ce récit médiéval reste connu de tous, au moins de nom. Issu de la tradition orale celte, il met en scène au travers des deux jeunes personnages dont il suit la trajectoire, l’amour passionnée qui unit deux êtres avec une réflexion sur l’adultère, la mort, le renforcement des sentiments et les épreuves d’un l’amour attaqué de toutes parts au point de questionner à demi-mots sur l’asservissement de la passion. Plusieurs versions de ce texte ont parcourues les cours avec des variantes qui ne remettaient pas en cause la portée du texte d’origine. Le récit que nous connaissons est issu de la version archaïque due à Béroul, poète du douzième siècle, dont un fragment est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Au dix-neuvième siècle Joseph Bédier, philologue réputé pour son travail sur les classiques de la littérature médiévale, à partir de ce fragment et de versions étrangères postérieures permis à ce texte, alors totalement inconnu du grand public, de recouvrer son statut de texte majeur de la littérature courtoise.

Adapter en bande dessinée l’amour fou de Tristan, chevalier sans peur et d’Yseult, sa blonde muse pouvait paraitre un sacré pari sur le papier mais un pari relevé de main de maitre par Agnès Maupré. La scénariste joue en effet sur l’idée même de la transmission, telle que le permettait la tradition orale médiévale, qui autorise une véritable appropriation du texte. Ici Agnès Maupré conserve les grandes phases du récit (combat contre le dragon, philtre, complot des barons, Yseult « remplacé » par sa servante dans le lit nuptial le premier soir, la farine posée au sol entre les lits des deux amants pour prouver l’adultère, l’exil, les voiles blanches et noires puis la mort) mais les enrobe de toute sa vision contemporaine. Cela donne un texte punchy où l’amour ne reste pas que courtois, dans les seuls sentiments et la retenue, mais se fait physique, cru, avec une attirance dévoreuse. En ce sens la scène du philtre, bu sur le bateau qui ramène Yseult au roi Marc, donne à voir la transformation des corps devenus blancs, comme si la passion avait définitivement châtié la raison. Cette vision de l’amour physique Agnès Maupré se l’approprie, comme elle s’approprie le droit de voir le roi Marc végétarien, ou qu’elle offre sa propre version de l’origine de la blessure mortelle de Tristan. Cela ne change pas le fond de l’histoire, superbement mise en images par Singeon qui opte pour les bons cadrages, pour une utilisation active des couleurs qui donnent sens et pour un trait qui louvoie autour du texte comme il le propose dans la scène du serment, au cours de laquelle des fougères s’enroulent autour du corps d’Yseult pour signifier que son message, adapté de fort belle manière, dit vrai, là où le texte d’origine propose une épreuve du feu. Scénario comme graphisme reposent sur des astuces de ce type qui offrent une plus grande fluidité au récit tout en conservant la densité d’origine. Une adaptation intelligente et savoureuse d’un texte à redécouvrir !

Maupré/Singeon – Tristan & Yseult – Gallimard BD