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La BD du jour : La Vallée du diable d’Anthony Pastor (Casterman)



Exilés de force, ou presque Blanca et Pauline se retrouvent aux côtés d’Arpin et du jeune Florentin sur les quais de Sydney. Ils ont en tête de débarquer en Nouvelle-Calédonie où les colons sont appelés à renforcer l’emprise française sur ces eaux chaudes du Pacifique. Sur ces terres lointaines, un déchainement d’amour et de haine va bouleverser l’ordre des choses…

Peu après la fin de la première guerre mondiale, Blanca et Pauline devenues veuves partent de leur Savoie natale pour fuir une communauté au sein de laquelle elles ne se reconnaissent plus. Elles emportent avec elles le jeune Florentin, ainsi qu’Arpin, un rescapé de la grande boucherie. Nous les retrouvons sur un bateau en partance pour la Nouvelle-Calédonie, loin de la métropole avec l’idée de refaire leur vie. Au cours de la traversée ils font la rencontre de James Jacques un riche propriétaire franco-australien, et de sa fille Marie, qui vont les aider à s’installer sur ce bout de terre situé aux antipodes d’une Europe qui détient trop de souvenirs à oublier. Arpin trouve un travail dans une mine de nickel tandis que Pauline devenue sa femme, exploite une petite ferme avec Blanca. Florentin, employé comme vacher pour le compte de James travaille avec Auguste un kanak rôdé au métier. La vie s’organise, pas forcément joyeuse, sous fond d’amours cachés et transis qui viennent perturber un équilibre fragile prêt à rompre à tout moment. Florentin refuse ainsi les avances appuyées de Marie la fille de son patron tandis qu’Arpin, qui ne croyait pas en l’amour de Pauline, a engrossé une kanak du nom de Déwé, qui était promise à Auguste… Les tensions montent au point de faire vaciller la raison…  

Si Anthony Pastor livre un nouveau volet des aventures de Blanca, Pauline, Arpin et Florentin, ses personnages du Sentier des reines (Casterman – 2015), en Nouvelle-Calédonie, c’est en partie pour donner à voir la situation économique et sociale de ce bout de terre perdu dans le Pacifique au seuil de tensions sociales et ethniques sans précédent. Des personnages, nous suivrons les aventures amoureuses. Pauline en tête, convoitée par James Jacques, le riche propriétaire terrien qui a repêché les quatre âmes égarées sur les quais de Sydney, mais aussi par Florentin qui se cache d’un amour qu’il a du mal à exprimer de peur de s’éloigner de celle qui fait battre son cœur. Au niveau des amours, Auguste, son ami kanak, n’est pas mieux loti puisque Déwé qui devait devenir sa femme a été mise enceinte par Arpin. De ce fait anodin sur le papier nait pourtant de grandes tensions accentuées par la furie déversée par James sur Auguste dans une imagerie colonialiste des plus malsaines. Anthony Pastor se sert de ce contexte amoureux pour nous présenter un cadre qui devient l’un des personnages clefs du récit. Pour comprendre la Nouvelle-Calédonie de l’époque il faut lire le petit dossier qui clôture l’album, dans lequel Isabelle Merle présente la situation en 1925 d’un banc de terre déboussolé dans lequel se retrouvent kanaks, colons attirés là par le gouvernement français, mais aussi anciens prisonniers libérés, esclaves et affranchis. Sous fond de crise économique, de désir de reconquête des terres, les tensions deviennent paroxysmiques et trouvent en écho ce déchainement de haine amoureuse qui pousse les hommes jusqu’à la mort. Un récit d’une étrange beauté graphique, servit par un trait lumineux d’Anthony Pastor qui sait trouver le bon cadrage, les bons enchaînements pour faite croître la tension qui s’alimente, tout au long du récit, des actes de chacun. Un album qui reste en tête longtemps après l’avoir refermé…

Anthony Pastor – La Vallée du diable – Casterman