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La BD du jour : Verdad de Lorena Canottiere chez Ici même



La guerre d’Espagne a laissé des cicatrices encore pas totalement refermées. Par la violence de la guerre et de la division d’un peuple qui a souffert jusqu’à la fin des années 70 à une dictature d’une rare violence physique et morale. Se relever de cet épisode tragique n’est pas mince affaire. Combattant de la première heure, Verdad, jeune femme aux idéaux nobles, va se voir meurtrie par les combats au point de devoir s’isoler du monde pour ne pas afficher son terrible engagement aux yeux de la Guardia civil avide de « débarrasser » les moindres parcelles de territoire de la présence d’hommes et de femmes n’épousant pas la nouvelle norme édifiée depuis Madrid. Un album touchant et nécessaire.

De la guerre contre Franco, Verdad conserve les meurtrissures qui la rappellent à son passé. Une mère qu’elle n’a pas connue, partie très tôt d’Espagne avant que le dictateur ne prenne les reines du pouvoir avec une aversion profonde pour l’esprit de la Frente Popular qui avait gagné, quelques mois plus tôt, démocratiquement, le droit pour les travailleurs avilis, les paysans sans le sous et tous les exclus d’un système déjà très peu soucieux du bien général, le droit de croire à un avenir meilleur. Une mère que la jeune femme ne connaitra que par le biais d’une photo conservée étrangement par sa grand-mère et qui donne à voir une communauté d’hommes et de femmes réunis à Monte Verità (Montagne de la Verité) pour créer un ordre de pensée nouveau, dans lequel les antagonismes laisseraient la place au développement d’idéaux de vie ignorés, marginalisés et combattus par l’ordre établi, bourgeois et avide de nouvelles richesses à amonceler.

Monte Verità concentrera des penseurs et artistes de toute l’Europe dont Bakunin, Hermann Hesse, Isadora Duncan, Picabia, Otto Gross, Kandinsky, Rudolf von Laban et bien d’autres encore, réunis non pas sous forme sectaire mais en extrapolant et poussant plus loin les idéaux issus du phalanstérisme. Verdad devenue jeune femme, habité par la mémoire de sa mère, un idéal de vie choisi et non pas imposé, combattra Franco. Rejoignant un groupe de républicains convaincus elle passera à l’action au péril de sa vie, transportant des bombes censées exploser à proximité des tranchées franquistes pour affaiblir les lignes. Un matin frais Verdad parcours un sentier forestier qui la mène aux lignes franquistes mais, alors qu’elle parvient à son but, elle est démasquée par un soldat. Si elle parvient à s’extraire de son emprise elle y perdra un bras. Après la guerre, perclus dans les montagnes, portant les stigmates d’une lutte passée pour l’esprit de liberté, tentant de se jouer de la guardia civil occupée à dénicher les opposants non repentis de la première heure au régime mené d’une main de fer par leur cador fasciste, Verdad continuera à veiller à conserver l’esprit d’une mère avec qui elle ne fait désormais qu’une.

Jaime Martin présentait récemment dans Jamais je n’aurai 20 ans la vie qui fut celle de ces grands-parents, opposés de la première heure au régime franquiste et qui durent, toute leur existence, jouer des pièges tendus par la guardia civil pour tenter de démasquer leurs accointances avec l’esprit républicain. Dans le superbe roman graphique que nous propose Lorena Canottiere fait partie de cette veine d’auteurs italiens particulièrement doué avec un médium dont ils explorent constamment les limites. Déjà aperçue avec Oche, un premier roman graphique inédit en France dans lequel elle s’immisçait dans la vie d’un garçon meurtri déjà en manque de parents, elle fait une entrée remarquée en France avec Verdad. Un projet d’une force redoutable par la portée de son message universel de paix et de justice, par le portrait singulier et possédée d’une femme qui n’a jamais renié ses convictions, par l’analyse fine de ce que fut la vie de ceux qui s’opposèrent à Franco avant que le militaire n’établisse en Espagne une dictature privative de libertés et d’espoir et par un trait véritablement somptueux qui se veut une explosion de couleurs à partir d’une base jaune sur laquelle elle tisse des traits colorés verts, rouges ou bleus. Sur le fond le propos de la dessinatrice italienne séduit Antonio Altarriba himself qui livre une préface émouvante dans laquelle il rappelle notamment, et à juste titre, que Quatre-vingt ans après la guerre civile, quarante ans après la mort de Franco, les blessures restent ouvertes et les fosses fermées. Il a fallu payer le prix fort pour conquérir une démocratie précaire. La liberté des victimes en échange de l’impunité des bourreaux. On a nommé « transition » ce mesquin marchandage. Mais le pacte se fissure au fur et à mesure que le temps passe. Loin d’accepter l’oubli ou la résignation, les petits-fils de ceux qui luttèrent contre l’ignominie autoritaire veulent restaurer leur mémoire ; ou du moins recouvrer les restes.

Verdad possède cette force de conviction qui ne lui fera pas trahir ses engagements premiers. Blessées dans son corps de femme, réduit à vivre seule isolée de tous, elle ne faiblira pas dans son combat pour préserver les valeurs qui animent sa soif de vivre. Un album précieux.

Canottière – Verdad – Ici même – 2017 – 24 euros