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Charles Martin, Féerie pour une grande guerre



Charles Martin, avant que la Grande Guerre n’éclate en août 1914, venait d’embrasser une carrière d’illustrateur pour plusieurs revues dans l’air du temps comme La Vie parisienne, La Gazette du Bon Ton ou Modes et manières d’aujourd’hui. Lorsque l’ordre de mobilisation est affiché dans toutes les villes françaises, il se résout à mettre sa carrière en sommeil pour participer « à l’effort de guerre ». Mais plutôt que de se laisser envahir par sa vie de soldat dans l’infanterie, il décide de décrire ce qu’il voit, avec sa sensibilité, son regard distancié et sa volonté de décortiquer les horreurs d’une guerre qui échappe presque à tous…   

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Charles MartinLorsqu’il est mobilisé en 1914, Charles Martin n’avait pas la prétention de marquer de ses illustrations  un conflit aux contours sinueux qui devait, pour exprimer la folie des hommes, devenir l’une des plus grandes tragédies jamais connues. Au plus près de l’action, tapi dans des tranchées creusées en pleine terre, le jeune illustrateur vivait dans l’incertitude du lendemain. Pour occuper son temps il couchait sur le papier des textes en prose rythmée qu’il accompagnait de dessins à la lourde charge dramatique. Parfois des dessins sans texte suggéraient tout autant. Il faut avoir vécu ces moments pour en parler sans crainte d’en déformer la portée et la dramaturgie. C’est peut-être pour cela que le travail de cet artiste, passé par une toute autre trajectoire, apportera ce côté détaché des choses tout en appuyant là où d’autres ne s’émeuvent même pas.

A l’instar d’un Mathurin Méheut ou d’un François Flemeng qui réalisa nombre de dessins pour L’Illustration tout au long de la Grande guerre, Charles Martin a consigné des moments de vie baignés de mort. Il faut noter la recherche d’une certaine épure dans la description du no man’s land, territoire qui pourrait être comparé sans mal à un sol lunaire percuté de plein fouet par un ban d’astéroïdes. Des astéroïdes  lumières qui décrivent dans le ciel nocturne des trajectoires oblongues pour devenir, par les frappes incessantes prodiguées avec soin sur le front ennemi, de véritables objets de mort. Au-delà elles alimentent aussi la peur accentuée par la mort du camarade de tranchée survenue juste à nos côtés, qui révèle le caractère éphémère de la vie dans un tel contexte et rapproche les hommes d’une aliénation programmée.

Avec des gestes de fossoyeurs
« Ils » ont accompli
Dans la peur,
L’éventrement formidable
De la terre.

La relève sillonne les longues veines creusées dans le sol pour prendre ses quartiers. Les hommes qui la composent portent leur paquetage vers les hauteurs du front, tête baissée pour éviter de s’offrir à la ligne de mire d’une mitrailleuse éveillée. Là une sentinelle qui veille sur les têtes endormies parait bien futile au regard de ce qui se trame dans les cahutes des officiers de tranchées préparant, pour accéder aux désirs d’un État-major souvent dépassé, une attaque forcément désastreuse.

Charles Martin décrit dans ses dessins tous ces longs moments qui précèdent et qui suivent les combats, ces moments d’attente, d’incertitude ou de certitude criarde. Rien ne sera plus jamais comme avant. Le temps possède au creux de cette étendue nauséeuse une toute autre valeur. Et si l’espoir renait toujours au Printemps quand la nature reprend ses droits, c’est aussi et surtout qu’une autre vie s’organise, que l’on espère plus durable…

Charles Martin, Féerie pour une grande guerre présenté par Emmanuel Pollaud-Dulian – Michel Lagarde – 2014 – 16 euros