Encore deux comics qui seront dans la sélection du MaXoE Festival !

Doghead vol. 1
Doghead comics, c’est d’abord un retour aux affaires pour Dave Cooper. Le dessinateur canadien, dans les pages centrales qui séparent les deux récits proposés en tête-bêche dans ce recueil, avoue ne pas avoir envisagé d’écrire de nouveaux récits séquencés depuis 2002 et la fin de la parution de Weasel. En 2018, le musée madrilène Colección solo lui passe une commande de tableau rendant hommage au Jardin des délices de Jérôme Bosch. Dave Cooper se plie à l’exercice. Lui qui a toujours gardé le contact avec la peinture, va pouvoir mêler son univers à celui du peintre flamand. Il se plait ainsi à dessiner les personnages du tableau et, en plus d’idées d’histoires amassées sans véritable but depuis quelques années, ce travail sur le tableau en hommage à Bosch l’incite à débuter l’écriture de La Grande Hiérarchie qui met en scène un Dieu à deux bites qui fignole les derniers détails de sa grande création, aidé en cela par l’étalon. Le début d’une histoire à double narration qui suit en parallèle la trajectoire d’Eddy Table, un héros récurant de son univers créatif, placé dans une ville futuriste à l’urbanisation galopante. Si le lecteur tourne le livre à couverture souple qu’il a entre les mains, il découvre un second récit tout aussi déluré, même si plus ancré dans un réel familier : L’architecte. On y suit le parcours en voiture de son héros (l’architecte, qui donne son nom au récit) dans la Nouvelle-Ecosse, en 1971. L’homme se rend dans une propriété aux formes démesurées dont des parties entières ont été agglomérées sans tenir compte de l’harmonie d’ensemble. Alors qu’il marche en contrebas de la maison, il tombe sur une forme qui s’inspire du mouvement métaboliste japonais. L’homme est tout de suite captivé par les formes audacieuses de cette partie du bâti qui détonne du reste de la structure. Il découvrira surtout l’homme qui en est à l’origine et qui possède un tempérament bien trempé et des idées des plus délirantes…
Dave Cooper fait partie de ces auteurs essentiels au neuvième art. Essentiel car il en maîtrise tout le potentiel et qu’il n’hésite pas à tirer les fils dans les directions les plus improbables, sans peur de différer la cohérence de l’univers (si cohérence il doit y avoir) à plus tard. Organique, son dessin va à l’essentiel, tout en nourrissant une forme de délire perpétuel qui touche ses personnages. Des personnages dont il met en avant les faces cachées sans aucun far. Il faut saluer ici le travail des éditions Huber, qui, après avoir rendu accessible au public français l’œuvre déroutante et majeure de Shintaro Kago, nous propose aujourd’hui de suivre celle de Dave Cooper. Pour cela les grands moyens sont déployés autour de la parution d’un superbe artbook de plus de 200 pages (Mouthful A generous gulp of Dave Cooper – avril 2025) et de la réédition de Ripple, une prédilection pour Tina en deux formats (standard et édition limitée). Mais c’est bel et bien Doghead qui nous captive en cette année 2025, qui propose deux inédits de l’auteur. Deux plaisirs à suivre, puisqu’il ne s’agirait – pour les deux – que du premier volet sur six à paraître. Avec de tels débuts la suite des deux récits s’annonce prometteuse, inventive, délurée donc jouissive.
Scénario & dessins : Dave Cooper – Huber Editions – 68 pages – mai 2025 – prix 17 €
Watership Down
Watership Down fait partie de ces textes dont l’histoire de l’écriture et de la diffusion possède un intérêt, qui, bien que moindre par rapport au récit lui-même, mérite d’être raconté. C’est au début des années 70, que l’auteur anglais Richard Adams propose le texte aux éditeurs. Le récit est né quelques temps auparavant à partir d’histoires que le futur romancier racontait à ses filles. Adams essuie treize refus avant qu’un petit éditeur ne se décide à casser sa tirelire pour l’éditer à 2500 exemplaires. Le succès n’est pas immédiat, mais le roman jouit d’une très bonne presse. Reprit par Penguin Books et MacMillan aux Etats-Unis, le roman connaît un succès fulgurant et les ventes dépassent vite le million. Les traductions se multiplient alors dans les années 70, dont celle française de 1976, Les Garennes De Watership Down (Flammarion). Des rééditions régulières seront proposées périodiquement en France, en poche notamment, chez J’ai Lu avant que le texte entre dans un oubli relatif. C’est en 2016 que les éditions Monsieur Toussaint Louverture se décident à remettre le roman sur le devant de la scène. Pour cela elles proposent une traduction revue et corrigée par son traducteur Pierre Clinquart, et une couverture plus mystérieuse que les précédentes. Deux ans plus tard l’éditeur remet le couvert avec une nouvelle édition cette fois illustrée par Mélanie Amaral. Puis en 2020 le texte ressort dans un format semi-poche avant d’être remis en avant, de façon magistrale, en 2024, avec une superbe couverture dans le style qui fait aujourd’hui la touche de la maison bordelaise, accompagnée d’un superbe cartonnage. En ce second trimestre 2025 Monsieur Toussaint Louverture franchit une nouvelle étape en livrant l’adaptation en comics du texte d’Adams, due à James Sturm et Joe Sutphin. Le lecteur qui avait découvert le roman dans une des nombreuses éditions qui ont précédés, peut dès lors confronter les images qui ont émergées de sa lecture même du texte avec la vision personnelle et documentée des deux illustrateurs. La couverture, elle-même invitation au voyage, fait honneur au récit et pousse, pour ceux qui n’ont pas lu le roman – mais aussi les autres – à tourner les pages.
De quoi s’agit-il au juste ? D’une histoire de lapins engagés dans une lutte pour la survie. Fyveer et Hazel, son grand frère pâturent un soir dans leur garenne, quand le plus jeune des deux est frappé d’une vision. Il entrevoit un sol recouvert de sang, annonciateur d’un grand danger qui plane sur leur habitat. Fyveer est connu pour ses prédictions, notamment depuis qu’il a entrevue, en flash, les inondations de l’automne dernier. Hazel se décide alors à s’approcher du Maître pour le prévenir du péril et entamer les mesures d’évacuation de la garenne. Mais la vision de Fyveer ne sera pas prise au sérieux. Dans un geste courageux les deux frères vont alors se décider à quitter leur habitat, s’exposant aux risques de représailles, pour aller au-delà des territoires connus, à la recherche d’une nouvelle garenne. Cette épopée, effectuée avec quelques-uns de leurs semblables qui ont décidés de les suivre, ne va pas s’avérer de tout repos. Bien plus, elle deviendra une forme d’apprentissage de la vie, une quête initiatique, faite d’espoirs et de partages avec un but en commun : celui de vivre en paix sur un territoire nouveau propice au développement de leur communauté.
Dans un style graphique détaillé et immersif, les deux illustrateurs parviennent à nous faire sentir le vent qui couche les herbes grasses du sud de l’Angleterre. Ils donnent à sentir les écorces de bois humides et à capter le chant des oiseaux aux premières heures du jour. La chaleur du soleil en journée qui caresse les pelages et les fraicheurs des nuits qui raffermissent les chairs. Le tout avec une judicieuse mise en couleurs, et une maitrise parfaite du style animalier, dans lequel le lecteur peut percevoir les humeurs et les sentiments qui habitent chaque petite bête (lapins, oiseaux, chiens). Tout à la fois touchant et qui pousse à la réflexion. Un plaisir de lecture à chaque page qui invite au partage.
Scénario : Richard Adams & James Sturm – Dessins : Joe Sutphin – Monsieur Toussaint Louverture – 368 pages – avril 2025 – prix 32,50 €