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Focus BD jeunesse (3ème volet) : Simples plaisirs…



Plaisir de dessiner des gribouillis sur un cahier pour s’inventer des histoires fabuleuses avec des personnages parfois ronchons. Plaisir simple d’une vie simple qui sonne comme un retour à la nature, une nature où les poireaux, les carottes, les salades possèdent encore du goût et éveillent nos papilles. Plaisir de déambuler dans un lieu connu de nous et qui échappe au contrôle de tous les autres, plaisir de découvrir et de parcourir le monde qui nous entoure avec cette idée qu’il renferme pas mal de secrets…

HISTOIRE DE POIREAUX-1
Grumpf

Grumpf de Chabbert & Delarue (Winioux)

Grumpf est un gribouillis. Mais un gribouillis pas forcément comme les autres. Il parle, se pose des questions, s’ennuie, exprime un mécontentement grandissant en agitant ses petits bras fait de deux lignes de stylo tracées avec énergie. Au fil des pages Grumpf révèle ce qui le chagrine. Il se sent un peu seul sur les pages qui composent ce récit. Des pages qui ne sont autres que celles qu’un cahier de brouillon d’écolier à l’ancienne. Grumpf y déambule tantôt à gauche, tantôt à droite, en haut ou en bas voire plein centre et en double page lorsque ça ne va pas du tout. Alors, pour briser sa solitude il s’adresse au lecteur et l’invite à compléter les pages, un peu comme si celui-ci détenait la responsabilité de son sort et de son mal-être. Il l’invite même à compléter les dessins en reliant des points qui donnent du sens aux derniers instants partagés avec ce gribouillis pas forcément commode mais auquel on s’attache indubitablement. Un petit album sympathique qui apporte avec lui une réelle fraîcheur, de la joie pour les plus petits et des souvenirs pour les autres !

Ingrid Chabbert & Julia Delarue – Grumpf – Winioux – 2015 – 6 euros

 

HISTOIRE-DE-POIREAUX1

Histoire de poireaux… de Sowa & Soleilhac (Bamboo)

Sur la place du village c’est jour de marché et les gens affluent pour remplir leurs paniers de légumes frais et goûteux qui laisseront assurément en bouche un meilleur souvenir que ceux trouvés en supermarché. Sur des caisses en bois un jeune garçon et une jeune fille à peine plus âgés que 10 ans mangent des cerises et rigolent. Lui c’est Vincent dont les parents exercent le métier pas forcément  facile de maraichers. La journée a commencée bien plus tôt pour le garçonnet avec un réveil nocturne indispensable pour aider à remplir le camion du père de toutes les cagettes qui seront exposées quelques heures plus tard sur le marché hebdomadaire. Un petit déjeuner copieux préparée par sa mère et hop, en route vers le village. Puis une fois arrivé, la mise en place du stand et les habitudes des marchands reprennent leurs droits. Et pour tout dire Vincent possède ses repères sur le marché, dont il est une sorte de mascotte. Passage chez le boulanger pour récupérer quelques viennoiseries qui remonteront le moral de la famille devant la journée harassante qui se dessine. Puis au détour d’une allée, la découverte de Marie une jeune fille qui, elle-aussi, aide son père fleuriste à installer son échoppe. Pour le petit Vincent le cœur bat alors très vite. Un peu timide passera-t-il un moment de la journée avec celle qui fait battre son petit cœur tendre ?
Dans cet album qui hume bon les effluves des marchés de nos régions, Marzena Sowa et Aude Soleilhac livrent un récit qui se compose sur presque rien. Pas ou peu de rebondissements, un décor qui se résume au marché et à ses travées, une dramaturgie finalement pas très étoffée, mais pourtant un bien être incontestable à la lecture de cette journée passée au milieu des légumiers, fleuristes, boulangers et autres artisans qui aiment à vendre leurs produits dans le brouhaha d’une place où se côtoient tous les métiers et des consommateurs enjoués. Ode à la vie simple, une vie qui s’affranchit des technologies high-tech, des produits trop vite consommés, de cette grisaille ambiante et de ce stress qui vient frapper souvent les gens des villes. Ici tout concourt à mettre la nature, le bien-être et la joie de vivre au cœur d’un récit qui se construit autour des premiers émois de Vincent et de Marie. Une vie que l’on aimerait ne jamais se souvenir comme celle d’un passé révolu.

Sowa & Soleilhac – Histoire de poireaux, de vélos, d’amour et autres phénomènes – Bamboo – 2015 – 15,90 euros

Ninn

Ninn de Darlot et Pilet (Kennes)

Le métro pourrait se voir comme un univers à part entière, un lieu dans lequel se déroulent des histoires à peine croyables, un lieu de transit qui peut aussi se résumer en un lieu de vie, celle de SDF fuyant la rigueur de l’hiver, celle aussi des travailleurs qui y passent une grande partie de la journée, qu’ils soient marchants, conducteur de rames ou ouvriers des voies comme peuvent l’être les deux tontons de Ninn, jeune fille dont on apprendra qu’elle a été abandonnée dans un couffin placé au sein même d’une arrière-galerie. Alors forcément Ninn connait le métro et son arrière-scène sur le bout des doigts au point de proposer à ses amis, comme sujet d’exposé pour la classe, d’étudier le métro comme destination d’un voyage exotique. Et pour tout dire la connaissance des lieux que peut avoir la jeune fille, avec ses personnages haut en couleurs, ses lieux abandonnés et terrifiants que peuvent être les stations abandonnées desquelles semblent émerger les fantômes d’un passé lointain, fascine les élèves de sa classe et sa maitresse qui la félicite sur la passion que Ninn déploie dans l’exposé de ce lieu atypique. Et puis un jour, au détour d’un quai Ninn croise un personnage un brin décalé qui tente d’attraper des papillons invisibles avec un filet. Le vieil homme l’assure, ils sont des millions cachés dans cet antre souterrain. Des papillons que la jeune fille verra bientôt elle-aussi apparaitre et qui vont lui ouvrir des portes jusque-là fermées qui possèdent leur attrait mais aussi et surtout ses risques. Car dans les recoins obscurs des galeries interminables et profondes du métro se cachent aussi des êtres bien peu recommandables…
Dans les huit pages qui clôturent cet album surprenant à plus d’un titre le scénariste Jean-Michel Darlot explique les raisons qui l’ont poussé à construire un récit ayant pour cadre le métro parisien : Je me souviens qu’enfant, dans les années 60, ma mère passait ses journées entières dans le métro. Pour le prix d’un simple ticket, c’étaient des heures d’exploration, de voyage et d’aventures. Le métro passé par le tamis des esprits les plus fertiles possède incontestablement son attrait. Luc Besson avant de se tourner vers la production de blockbusters avait d’ailleurs exploité le filon dans Subway sorti dans les salles en 1985. Ici, le premier volet de ce récit pose le contexte, le cadre avec une héroïne attachante, des personnages singuliers et d’autres plus terrifiants. Car l’aventure, les aventures que vivra la jeune Ninn promettent d’être pimentées par le réveil de quelques créatures édifiantes qu’il vaut mieux ne pas croiser. Heureusement que la jeune fille connait le métro comme sa poche pour pouvoir sortir de leur griffe… Le dessin de Johan Pilet révélé notamment par son travail sur les deux derniers opus de Ratafia, confirme qu’il sait immerger le lecteur dans des ambiances bien choisies. Un trait qui se nimbe de mystères et restitue à merveille un cadre dans lequel les parisiens déambulent tous les jours sans savoir ce qui se cache parfois derrière les rideaux de l’imaginaire. Les perspectives offertes par ce premier opus laissent entrevoir une suite très prometteuse. Donc hautement recommandé !

Darlot & Pilet – Ninn T1 – Kennes – 2015 – 14,95 euros