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Focus Polar : l’approche classique (1ere partie)



Si une époque caractérise mieux qu’une autre le polar à l’ancienne, celui qui germe dans les cités en plein essor ou dans les mégalopoles tentaculaires qui se développent sans souci de cohésion, c’est bel et bien la période trouble qui prend place dans l’entre-deux guerre et jusqu’au début des années 40. Une époque marquée par la peur de la guerre et de la montée du nazisme, mais aussi, un peu plus tôt, par le krach boursier de 1929. C’est dans ce cadre qu’œuvrent des héros construits par des auteurs phares comme le commissaire débonnaire Jules Maigret tiré de la plume de Simenon. Aux Etats-Unis germent des œuvres visionnaires et fondatrices comme Le Faucon maltais de Dashiell Hammett adapté au cinéma par John Huston ou des personnages eux-aussi passés à la postérité tel le privé Philip Marlowe de Chandler. On y croise aussi les figures de la pègre, Al Capone en tête, mis en scène dans la série Les Incorruptibles. Bref l’époque appelle aux récits noirs mais elle ne fut pas la seule et les périodes qui suivirent développèrent encore le genre et le densifièrent comme jamais en gardant l’intrigue, le suspense, le cadre généralement urbain, le tout mâtiné parfois d’affaires politiques ou mêlant des élites locales véreuses, comme signature. Bref du polar classique comme on l’aime ! Merci à Tof qui nous fait découvrir les comics Le Dahlia noir, Velvet et 2 guns !

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La chute d'un ange

La chute d’un ange de Mako et Daeninckx – Casterman (2014)

Paris, 1948. La France reste ancrée dans une noirceur que rien ne parvient à nuancer ou à déteindre durablement. La guerre qui vient de s’achever, si elle délivra un véritable message d’espoir à des populations libérées de l’emprise allemande, aura causé bien d’autres maux. Et lorsque deux inspecteurs du Quai des orfèvres se rendent à Gagny en ce début du mois d’avril, pour tenter de comprendre ce qui a bien pu arriver à un gamin placé sous la protection du Patronage de l’enfance orpheline, mort dans ce qui ressemble à une chute dans une carrière, ils mesurent l’ampleur des dégâts collatéraux infligé par un conflit démesuré aux effets dévastateurs sur les populations civiles. Si l’enfant semble être mort dans sa chute, il porte pourtant sur son corps les marques qui attestent de sévères punitions infligées en son encontre qui auraient pu le pousser à fuir. Au même moment au cœur de la capitale, Paris-soir, diffusé en grande pompe, atteste de l’arrestation de l’Etrangleur, un criminel recherché de longue date dont la mise sous les verrous tend à rassurer le tout Paris. Il n’en fallait pas moins pour le directeur du quotidien, Philippe Crélard, pour inviter le gratin à une soirée privée du plus bel effet. Il faut dire que Paris-soir a su se forger une solide réputation, réputation due en partie à cette collaboration sans faille entre Crélard et le Quai des orfèvres. Mais, et alors que cette soirée un brin décalée dans un Paris qui se cherche encore bat son plein, on apprend la mort soudaine de Crélard, une mort qui se devra d’être résolue mais qui pourraient bien révéler d’autres aspects de la vie passée de l’homme de presse, et d’autres choses encore moins avouables…

La construction de La chute d’un ange dévoile une rare maitrise des ficelles du polar. D’abord placer son récit dans une époque entre-deux, ici l’immédiat après-guerre qui laisse planer pas mal de doutes et d’incertitudes sur l’avenir proche. Ensuite construire son récit sur des passés troubles et des personnages difficiles à cerner. Œuvrer à faire se dérouler l’action dans ces nuits sombres aux contours difficiles à cerner et faire monter un suspense qui ne délivre toute sa portée qu’une fois la dernière page parcourue. Didier Daeninckx maîtrise donc incontestablement son récit. Il parvient à restituer les tensions d’une époque qu’il utilise comme élément structurant dans une histoire où le suspense ce construit patiemment. Le dessin de Mako saisi et renforce l’ambiance attachée à ce récit. Le trait se fait suffisamment précis pour soutenir l’horreur des crimes, des peurs et des angoisses vécus tout en gardant une certaine souplesse. La chute d’un ange possède donc cette attraction qui ravira les amateurs de polars classiques. Des polars qui se font l’écho d’une époque ô combien nébuleuse sur son devenir immédiat…

Mako/Daeninckx – La chute d’un ange – Casterman – 2014 – 15 euros

 

Dahlia-couv

Le Dahlia Noir de Hyman/Matz/Fincher – Casterman (2014)

Voici l’adaptation en comics du célèbre roman de James Ellroy. Si vous ne connaissez pas la trame de celui-ci, nous nous permettons de vous rafraîchir un peu la mémoire. L’histoire se passe à Los Angeles, au lendemain de la fin de la deuxième guerre mondiale. Dwight « Bucky » Bleichert vient d’arriver aux mandats, le service le plus prestigieux de la police de Los Angeles. Le but de toute une vie de flic. Il y retrouve Leland « Lee » Blanchard, un ancien boxeur, comme lui. Rapidement l’amitié se noue entre les deux compères qui font leur boulot plutôt efficacement. Et puis, un jour, ils sont appelés pour un meurtre sordide. Une jeune fille dont le corps a été coupé en deux, portant les stigmates d’une torture minutieuse. Elle avait l’habitude de porter des robes moulantes noires, la presse décida alors de l’appeler le Dahlia noir. L’enquête s’annonce difficile …

Je dois avouer bien humblement que je n’ai pas lu le roman de James Ellroy mais cela ne m’a pas empêché d’apprécier cette lecture. L’histoire est d’une noirceur extrême. Les personnages sont criants de vérité, leur duplicité nous inspire le dégoût. Au fur et à mesure des pages, on s’enfonce de plus en plus profondément dans les agissements glauques des uns et des autres et on aime ça. Difficile de prévoir la fin du récit, difficile de voir les ficelles du scénario. La Los Angeles de l’époque nous charme comme elle nous effraie. Le dessin n’y est pas pour rien. Un rien oldie, il met l’accent sur les contrastes, comme pour appuyer encore plus sur les zones d’ombre des personnages. Le crayonné est magnifique, mettant en valeur les visages et les corps, notamment celui des femmes, centrales dans cette intrigue. Un must-have pour les fans de polar. Ah, un dernier détail, James Ellroy a apprécié lui aussi, que dire de plus !

Matz, David Fincher & Miles Hyman d’après le roman de James Ellroy – Le Dahlia Noir – Casterman – 2013 – 20 euros

 

Lonely Betty

Lonely Betty de Merlin – Sarbacane (2014)

Une petite bourgade du Maine au nord-est des Etats-Unis, une de celles que l’on traverse en voiture et qu’on laisse irrésistiblement au loin derrière soi. Une de celle où les faits divers, si rares, peuvent déjouer le temps et rappeler aux autochtones restés-là les souvenances d’un triste passé. La petite ville qui nous occupe aujourd’hui s’apprête de toutes parts pour fêter les cent ans de sa figure locale, Betty, ancienne institutrice qui a enseigné les rudiments de la vie à pas mal d’hommes et de femmes pour beaucoup aujourd’hui à la retraite. Un petit hommage donc, préparé par l’adjointe au Maire, la jeune et pétillante Sarah Marcupani, qui passerait pourtant sa fin d’après-midi ailleurs que dans un hospice sentant le vomi et la pisse. Mais, le protocole étant ce qu’il est, elle se retrouve malgré elle de la partie. Si personne dans le patelin n’a oublié Betty c’est en partie en raison d’une vieille histoire à laquelle elle fut associée en tant qu’institutrice. Une histoire sordide dans laquelle trois frères disparurent sans que personne ne puisse les retrouver. Les trois gamins sous la responsabilité de Betty alors institutrice jouaient avec Stephen, un autre gamin, à une partie de cache-cache dans les bois mais seul Stephen reparut. Malgré l’alerte qu’elle donna rapidement et le déploiement de la police locale placée dans les mains d’un certain John Markham, personne ne retrouva les frères Harrys. Démise de ses fonctions Betty sombra dans un mutisme que personne ne parvint à briser au fil des ans. Mais revenons à notre petite sauterie au club du troisième âge. Sarah Marcupani aux côtés des responsables de l’hospice ont bien fait les choses, banderoles, gros gâteau, chœur d’enfants entonnant Happy Birthday to you et belles bougies. Tout pour combler l’hôte ancestrale de ces lieux. Sauf que Betty se décoincera le gosier en déversant ses remontées acides et gastriques sur l’énorme pâtisserie à laquelle pas mal de monde faisait les yeux doux. Ce ne sera que partie remise. Peu après Betty sort contre toute attente de son mutisme pour révéler à John Markham de nouveaux éléments concernant l’histoire des frères Harrys…  

Une histoire qui ne prête pas de mine qui prend corps dans un bled perdu ou presque du Maine. Une mamie qui vomit ses tripes, un flic à la retraite père d’une fille strip-teaseuse et grand-père d’un petit gamin, Marvin, qui le bat à plate couture dans des parties d’Othello. Le contexte de départ demande déjà au lecteur de prendre sur lui pour tourner les pages et tenter d’en capter l’étincelle à partir de laquelle le récit s’illumine. Et pour tout dire, une fois attrapée au vol, cette étincelle nous guide goulûment vers un dénouement jubilatoire. Elle se capte notamment dans ce contexte décalé que l’on pourrait comparer à celui de Fargo, film savoureux des frères Coen et dans cet humour permanent et fin qui redimensionne le récit. Elle se capte aussi dans un dessin efficient qui laisse se construire une trame de laquelle indéniablement le lecteur a envie de connaître le dénouement. Christophe Merlin tape dans le mille avec Lonely Betty qu’il adapte librement du roman de Joseph Incardona. Il parvient surtout à restituer toute la saveur du texte original sur près de soixante planches qui réservent bien des surprises et des pirouettes. Eminemment conseillé.  

Merlin – Lonely Betty – Sarbacane – 2014 – 19,50 euros

 

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Velvet T1 de Brubaker et Epting – Delcourt (2014)

Paris 1973, x-14 vient de se faire descendre. C’est un agent très très secret faisant partie de l’agence arc-7. Une agence dont même les services secrets n’imaginent pas l’existence. Et c’est là que c’est inquiétant. x-14 était le meilleur des meilleur, impossible à tracer, impossible à surprendre mais là, il s’est fait avoir avec ce billet aller pour l’enfer. Velvet Templeton est la secrétaire du patron de l’arc-7 et elle a eu pas mal de relations amoureuses avec les agents x. Elle est donc sur l’enquête, l’arc-7 ne peut se permettre de perdre ses agents, ne peut se permettre d’avoir une taupe en son sein. Seulement voilà, Velvet semble être tout autre chose qu’une secrétaire classique.

Le polar dans la veine classique du genre. Ed Brubaker aime les intrigues alambiquées et cela se sent. Les agents secrets côtoient les vilains, les trafiquants jouent double-jeu, bref l’arsenal habituel. Une fois de plus, Brubaker nous fait la preuve indéniable de son talent dans l’art subtil de la narration. Les événements s’enchaînent sans heurts et les pièces du puzzle se mettent naturellement en place. Mais ce qui fait aussi  le bonheur de la lecture, c’est la belle Velvet. Ils ont réussi à créer un personnage au charisme de feu. Belle et dangereuse, elle va vous charmer, à coup sûr. Le dessin est sombre à souhait, le trait nous offre des visages très expressifs, indispensable dans ce genre de BD. Si vous aimez les ambiances à la James Bond teintées de noirceur vous serez aux anges. 

Ed Brubaker & Steve Epting – Velvet T1, Avant le Crépuscule – Delcourt – 2014 – 16,95 euros

 

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Perico T2 de Berthet & Hautière – Dargaud (2014)

Ayant quitté plus ou moins forcé Cuba et ses risques de mort à chaque coin de rue, Joaquin et la belle Livia viennent d’accoster aux Etats-Unis et veulent rejoindre le plus vite possible l’Eldorado que représente Hollywood. Avec eux un jeune homme du nom de Sean les accompagne. Tous les trois vont tenter de se cacher un brin de temps chez des amis de ce dernier histoire de semer les hommes envoyés par Santo Trafficante Jr pour récupérer un bien précieux dérobé à sa barbe : une mallette d’argent issue du club Le Sans Souci. Plus que l’argent en lui-même, c’est l’affront que souhaite laver le mafieux pour garder encore la crédibilité qui est la sienne dans cette antichambre des Etats-Unis, paradis la nuit avec ses salles de jeux et ses femmes de petite vertu qui s’offrent comme des fleurs à la Saint-Valentin. Joaquin est jeune, téméraire, avec un brin d’inconscience et un amour qui le rend aveugle. Pour cet ancien groom qui n’a pas encore « vécu » l’avenir parait bien sombre. Pourra-t-il échapper aux hommes de Trafficante ? Rien n’est moins sûr d’autant plus que le signalement du garçon et de sa voiture tape-à-l’œil commencent à être diffusés par le plus puissant syndicat de routiers des Etats-Unis, avec une prime à la clef…  

Deuxième tome de ce diptyque qui, après avoir décrit la moiteur du Cuba des années 50 se déplace dans le sud des Etats-Unis avec ses couleurs bariolées, ses immenses motels avec leurs non moins grandes piscines dans lesquelles nagent des bimbos prêtes à affoler les palpitants. On y retrouve aussi ses cafés à donuts, ses camionneurs plutôt gras et ses motards moustachus et rigolards. Bref tout le décorum classique des Etats-Unis tels qu’on peut les voir à l’aube de la révolution cubaine et même au-delà. Régis Hautière livre une seconde partition maitrisée dans laquelle on regrettera peut-être la trop grande linéarité. Si la tension se fait de plus en plus palpable au fil des planches, on découvrira que Joaquin apprend plutôt vite et que sa naïveté de fait – lui qui n’avait pas encore découvert la complexité de la vie et de ses jeux de pouvoirs et d’influence – s’efface devant un apprentissage accéléré plutôt efficace. Hollywood reste l’Eldorado de Joaquin et Livia, peut-être effleureront-ils leur rêve ? Perico pose les jalons de la série noire de Dargaud confiée au dessinateur Philippe Berthet. Un début plutôt agréable dans la tradition du genre où se dégagent de chaque lieu une essence particulière, une émotion qui puise aussi dans cette attention portée dans la construction des personnages. Pour les amateurs du genre.

Berthet/Hautière – Perico T2 – Dargaud – 2014 – 14, 99 euros

 

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2 guns de Grant & Santolouco – Delcourt (2013)

Attention, accrochez-vous car l’histoire est loin d’être simple. Trench est un agent de la DEA qui agit sous couverture depuis plusieurs années pour coincer un caïd mexicain. Steadman est un Marines. A priori rien ne doit les rapprocher. Seulement voilà, aucun des deux ne sait qui est vraiment l’autre. Les deux s’embarquent alors dans le braquage d’une banque qui est censée blanchir l’argent de la mafia. Le problème c’est que l’argent dérobée est en fait celle de la CIA qui s’est constitué une sorte de trésor de guerre… Là cela se complique sérieusement entre la DEA, les marines et la CIA. Qui tire les ficelles au final ?

Il faut bien avouer que la BD n’est pas facile d’accès, surtout sur les 30 premières pages. Le scénario est compliqué, trop compliqué, cela pourrait presque en décourager certains. Heureusement, les choses s’améliorent par la suite, on commence à y voir plus clair même si le mystère reste encore entier jusqu’aux dernières planches.

Mais finalement ce qui fait le sel de l’aventure c’est bien le duo de choc constitué par Trench et Steadman. C’est percutant et on ne tombe pas dans les stéréotypes habituels dans le genre. Bref on a aimé. Les agents du CIA, tout de noir vêtus, nous ont aussi beaucoup plu. De prime abord austères, ils ne manquent finalement pas de consistance. Ce polar à l’américaine respecte les codes du genre, à n’en pas douter. N’allez pas y chercher un quelconque thème, c’est une BD policière et c’est déjà pas mal. Le dessin est efficace. Les traits un peu anguleux donne une teinte toute particulière à l’ensemble. Bref, même si les premières pages peuvent vous laisser perplexe persistez un peu, ce comics vaut le coup d’être lu.

Steven Grant & Mat Santolouco – 2 Guns – Delcourt – 2013 – 14,95 euros