- Article publié sur MaXoE.com -


Guerre d’Espagne : la vision de l’art



La guerre civile espagnole figure parmi les conflits les plus souvent analysés, traités et décortiqués par les historiens, chercheurs, musiciens, écrivains et artistes de tout horizon. Pourquoi ? La réponse est sûrement a chercher dans la nature même de ce conflit, premier à s’opposer à la mise en place d’une dictature militaire forte en plein cœur du XXème siècle. Car la guerre d’Espagne a incontestablement marqué les esprits. Nombre d’œuvres majeures issues de ce conflit ont vu le jour. Nombre d’opposants, de tous pays confondus, ont convergés vers les terres de Catalogne et des états opposés à Franco, faisant de cette « guerre civile » une guerre « internationale ». Conflit précurseur de la seconde guerre mondiale, il garde dans les esprits des réfugiés, comme dans celui des hommes et des femmes restés au pays, et par extension dans ceux de leurs descendants une trace vivace, mélange d’émotions, d’incompréhension et d’envie de liberté et de paix. Serge Pey, le poète toulousain majeur, nous donne à lire un récit empreint de gravité, d’horreurs esquissées ou étalées à la vue de tous. Il teinte son texte d’une dose d’onirisme qui l’élève et lui donne sens. Pour Ribera qui a connu le conflit l’émotion est la même et le dessinateur, avec Mon crayon et moi, offre son expérience au service du « no pasaran ». Dans les affres d’un conflit sanglant sont nés les plus beaux textes soulignant la beauté, la fragilité et toute la symbolique de la liberté. Comme un message adressé aux générations futures…



Serge Pey n’a pas connu la guerre d’Espagne, tout au plus a-t-il entendu les récits que lui ont racontés ses parents. Cela ne l’empêche nullement, et même peut-être mieux encore, de construire un imaginaire foisonnant dans lequel les horreurs auxquelles il a échappé se trouvent déclinées dans des récits d’une force émotionnelle rare. Fils de réfugiés il garde en lui des souvenances de ce passé, enrichies des témoignages et des extrapolations qui prennent corps dans son esprit. Le tout assaisonné à la sauce du poète qui livre avec Le Trésor de la guerre d’Espagne, un recueil de textes d’une suggestivité et d’une émotion qui se partagent tout au fil des pages. Une quinzaine d’histoires sont livrées par l’auteur toulousain. Chacune entretient un climat pesant dans lequel les horreurs ne sont pas simplement le résultat d’une oppression de la part de la répression franquiste, qui, bien que réelle, ne saurait suffire au récit, non, l’oppression nait de toutes ces petites choses qui chaque jour réduisent la part de liberté attachée à l’homme. La peur envahit le quotidien, les violences et barbaries diverses aussi, pour autant Serge Pey souligne la fierté d’un peuple, qui, bien qu’opprimé n’a jamais plié, refusant de plonger dans une possible résignation. De cette force de conviction, de cet attachement à la vie, à la liberté, naissent ces histoires dans lesquelles il faut parfois savoir lire entre les lignes, tout comme le Docteur d’un des récits qui range ses livres dans sa bibliothèque tranches vers le devant laissant apparaitre un univers blanc qui lui permet de composer ses propres poésies. Des poésies qui trouvent leur force dans ce qui est susurré, dans les non-dits si hautement pensés qu’ils deviennent une réalité criante de vérités et de sens. Même les morts n’en n’ont pas fini avec la vie, ils participent, par leur mémoire à renforcer la conviction et la force qui doivent animer les vivants : Je pense que les morts ne sont pas morts, comme l’on croit, mais qu’ils nous tiennent les jambes pour que nous restions debout.
Premier roman à plusieurs entrées du poète toulousain, Le Trésor de la guerre d’Espagne laisse une trace indélébile dans nos esprits, comme une inscription gravée au burin dans le bois. Une marque pour éviter l’oubli et les atrocités perpétrées au titre d’une trop grande liberté qui ne doit pas nous faire défaut demain.

Serge Pey – Le Trésor de la guerre d’Espagne – Zulma – 2011 – 16, 50 euros


Julio Ribera n’est pas seulement l’auteur de récits devenus cultes, comme Le Vagabond des limbes ou les histoires de son héroïne Dracurella, il a également livré à partir de 2008 chez Bamboo, une autobiographie qui se déclinera en trois volets parcourant l’enfance de l’auteur et sa déclinaison jusqu’aux premières réussites éditoriales à Paris. Ce triptyque revoit le jour en 2011 en un seul volume publié par la collection Grand Angle. La première partie de ce long récit nous fait revivre l’enfance de l’auteur dans les années 30 en Espagne. Années d’insouciance tout d’abord et de découvertes mais aussi années durant lesquelles le jeune garçon et sa famille devront faire face à un destin tragique marqué par la guerre civile espagnole. Le père du futur dessinateur, prend part aux hostilités et Julio doit alors faire face aux nombreuses privations du quotidien. Privations de libertés tout d’abord, d’un père, absent de longs mois pour défendre ses idées, mais aussi privations alimentaires qui gangrènent le quotidien et laissent la famille dans un océan de doutes et d’inquiétudes. Doté d’un sens de la débrouille, le jeune garçon veillera sur sa mère et sa sœur dont il essayera par tous les moyens d’améliorer le sort. Les images de l’Espagne offertes par Ribera débordent d’émotions et d’un réel désir de conter d’une part les atrocités de ce conflit qui opposa les franquistes aux républicains et d’autre part les années de censure et de dictature qui suivirent. La force de l’œuvre de Ribera réside en grande partie dans le fait qu’il ne juge pas directement, de front, des atrocités qui se sont perpétrées sous le règne du dictateur espagnol. Les images parlent d’elle-même et le scénario qui, même s’il doit s’avérer sans surprises pour qui connaît un tant soit ses années d’avant second conflit mondial, regorge de moments « vrais » qui donnent à l’ensemble une force incontestable. Force qui nait aussi et en grande partie de ce que ces petites histoires arrivent à reformer la grande. Pour Ribera les dommages perpétrés sous le régime Franco ont eu une incidence destructrice sur la création, la liberté de penser et de vivre pendant de nombreuses décennies. Si on doit encore douter de la marque laissée par le dictateur, cette biographie dessinée avec simplicité et humanité doit nous rappeler que la société espagnole n’a pas encore chassé ses vieux démons. Là réside la puissance de ce récit incontournable.

Julio Ribera – Mon crayon et moi – Bamboo Editions – Collection « Grand angle » – 2011 – 22 euros


Et aussi :


Les éditions Actes Sud annoncent la sortie imminente d’un recueil de photos inédites prises durant la guerre civile espagnole. Ces clichés qui avaient été pris par Robert Capa, David Cheymour – dit Chim – et Gerda Taro, la compagne de Capa disparu lors d’une bataille en 1937, démontrent toute la fragilité s’il en est de l’Art soumis aux risques d’aléas qui dépasse de loin toute raison ou logique. Peu importe ! Ces photos qui avaient été égarées dans une valise en 1939 sont remontées à la surface en 2008. Au total se sont 4500 négatifs qui ont enfin pu être exploités. L’édition prévoit un coffret luxueux en deux tomes reproduisant l’ensemble des clichés et augmentée de journaux d’époque, témoignages de spécialistes… Au final la guerre civile espagnole retrouve une partie de ses archives visuelles, un condensé d’émotion sur l’un des conflits les plus prolixes en textes qui trouve aujourd’hui son pendant en images. A noter que cette publication fait l’objet d’une exposition qui se tient jusqu’au 18 septembre à Arles dans le cadre de des Rencontres consacrées à la photographie. Incontournable…

Capa/Chim & Taro – La valise mexicaine – Actes Sud – 2011 – 84 euros