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La BD du jour : A la dérive de Xavier Coste



Paris défiguré par les flots qui envahissent ses moindres rues. C’est autour de la crue de 1910 que Xavier Coste construit son récit. Un récit qui se veut polar décalé et romantique dans lequel l’auteur offre toute l’étendue de son art sans concession. Une pure beauté graphique pour lecteur exigeant.

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A la dérive - Xavier Coste - Casterman

A la dérive de Xavier Coste – Casterman (2014)

C’est sous un épais manteau d’eau que Paris semble flotter. La grande crue de la Seine, tant redoutée, vient de faire son office et les barques qui sillonnent courageusement la capitale pour tenter de préserver un semblant de vie offrent un tableau surréaliste d’une ville en partie coupée du monde. Dans ce contexte peu favorable un homme et une femme tentent pourtant de briser les consignes qui veulent que les parisiens, pour leur sécurité, limitent au maximum leurs déplacements. Lui c’est Eddie, un jeune homme un brin désillusionné qui vient de perdre une forte somme d’argent dans des parties endiablées de poker. Elle c’est son épouse Agathe, fraîche et plutôt belle. Pour éviter que les menaces des créanciers de son mari ne passent à exécution la jeune femme offrent son corps au tout venant. Mais, même si elle ne rechigne pas à la tâche et officie avec une dévotion rare, Eddie sait que sa femme ne parviendra pas à réunir l’argent nécessaire pour rembourser ses dettes. Au pied du mur le jeune homme imagine alors un plan a priori risqué mais dont il semble posséder les clefs, le vol de l’American Express, une banque imprenable en temps normal mais qui, dans les circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouve plongé Paris pourrait fonctionner et permettre au couple de se libérer de l’énorme dette et des menaces qui pèsent sur leur intégrité physique. Oui mais voilà, pour réussir ce casse, Eddie ne peut agir seul et il devra s’entourer de deux acolytes qui pourraient bien le précipiter dans une chute encore plus vertigineuse vers les abysses de la capitale…

A la dérive se fonde sur deux faits historiques – la crue de la Seine de 1910 et l’attaque de l’American Express de 1903 – que Xavier Coste mêle pour faire croître une tension qui, de palpable dans les premières planches, se fera plus prégnante au fur et à mesure que le récit se développe. Le scénario aurait pu paraître un brin faiblard s’il n’avait réservé les rebondissements forts en émotion qui se lisent dans le dernier tiers de l’album et que nous vous laissons découvrir pour ne pas gâcher le plaisir de lecture. Pour autant le récit vaut en grande partie pour la construction graphique qui en découle. Il transpire de ce Paris sous les eaux un romantisme qui se lit dans les actes « exceptionnels » accomplis par des personnages somme toute « ordinaires », dans la violence qui s’affiche au travers du déchainement d’une nature qui tarde à reprendre le droit chemin, dans tous les détails scabreux qui naviguent autour d’un couple qui jauge involontairement un amour mis de fait à rude épreuve. Le rendu graphique surligne et renforce ces aspects du scénario. Xavier Coste expérimente beaucoup autour d’un découpage audacieux de son récit. Il offre aussi des pleines ou double-pages d’une pure beauté intrinsèque qui se suffisent à elles-mêmes. Le traitement des couleurs, l’ajout d’enluminures, ou de cadres décorés donnent un esprit très Art déco à l’album dans la ligne d’une époque un brin insoucieuse portée par des errements à venir déjà palpables. Suffisamment hors du moule pour nous intriguer et nous subjuguer A la dérive donne surtout à voir un auteur en plein dans la définition et l’affirmation de son style. Donc essentiel…

Xavier Coste – A la dérive –  Casterman – 2015 – 18 euros