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La BD du jour : Capitale : Vientiane de Pichelin, Troub’s et Guez



Travailler à restituer l’espace et le temps. Les figer tels des négatifs dans leurs composantes sonores et graphiques. Beau projet s’il en est ! En parcourant de long en large la capitale du Laos, Marc Pichelin, Kristof Guez et Troub’s nous offrent un paysage dans toute la splendeur de son temps mais dont les mutations transforment en permanence les repères. Laissons-nous happer par Vientiane…  

 

Lorsque l’Institut français de Vientiane propose au phonographiste Marc Pichelin de venir dans la capitale laotienne pour en capter les sons qui se mutent au rythme des changements que connait la ville, il était trop tôt pour envisager d’en réaliser le livre-disque que nous avons aujourd’hui entre les mains. Capter les sons révèle les moments de vie d’un espace donné avec ses fusions, ses tempos, ses différentes harmonies qui sont la résultante des mouvements dans l’instant. C’est aussi prendre la teneur d’un lieu, lui donner les archives sonores qui participeront peut-être plus tard à mieux saisir son développement, sa mutation, sa construction par l’homme et pour l’homme. Marc Pichelin n’en est pas à son coup d’essai. Il excelle dans la captation in situ d’évènements sonores qui paraissent anodins pour la plupart d’entre nous. Sûrement car il donne du temps au son, il l’observe, l’écoute, le jauge et le restitue avec ses variances, sans le dénaturer, en offrant par là-même un sens à notre propre écoute.

Vientiane au début des années 2000, lorsque Marc Pichelin y débarque, subit des changements profonds alimentés par la transformation brutale de la Chine voisine, mais aussi par quelques évènements nationaux et internationaux (450ème anniversaire de la naissance du la nation, jeux sportifs asiatiques…) qui oblige le pays et sa capitale à changer de cap. Le phonographiste va parcourir la ville en témoin de ses mutations. Il en capte les moindres sons, ceux qui seront à jamais perdus dans la mouvance ambiante : sons de criquets, des travaux d’agriculteurs dans les rizières, des marchés, de la traversée de la ville par un troupeau de vaches qui produit un étrange rythme par le tintement des cloches sur leur poitrail. Images sonores donc qui offrent des images mentales de ce qui est restitué par la bande.

Pour prolonger son travail le phonographiste a souhaité inviter en 2008 le dessinateur Troub’s pour qu’il complète sa vision et lui offre un autre point de vue, un autre angle d’approche. Cela donne un carnet de croquis capté dans les différents lieux de la ville : rizières, rives du Mékong, immeubles modernes ou cabanes en bois. Moments partagés, livrés avec émotion, le ressenti de l’artiste dans l’instant. Troub’s complète ainsi certaines des images sonores de Marc Pichelin : combat de coq, marchés, cuisine de restaurant, berges du Mékong… En 2009 c’est au tour de Kristof Guez de rejoindre le phonographiste à Vientiane. Il complètera les deux premières approches de clichés pris sur le vif dans un mélange étonnant de moments de vie et de douce latence, de méditation sur la ville et ses mutations, de son besoin d’expansion qui passe par la construction de barre d’immeubles, du pullulement de chantiers d’où coule des flots de béton. La vie pourtant préserve encore ses anciens rythmes. La sieste résiste encore à la tentation d’accélérer la cadence. Comme un pied de nez au modernisme.

Le paysage de Vientiane mute. Il se transforme chaque jour. Les trois artistes qui ont pris part à ce projet se font donc ambassadeurs d’un temps qui se meurt mais dont ils restituent toutes les agitations en étant conscient de sa fragilité et donc de la nécessité de lui rendre (un dernier) hommage… 

Pichelin, Troub’s et Guez – Capitale : Vientiane – Les Requins Marteaux/Ouïe Dire – 2012 – 24 euros