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La BD du jour : Chemin perdu d’Amélie Fléchais



Faut-il être aventureux lorsqu’on se rapproche d’une forêt aux contours mal dessinés et peu connus de tous ? Sûrement pas car les longues étendues sylvestres gardent en elles bien des secrets enfouis propices à toutes les pertes, mais peut-être aussi à des expériences humaines singulières …

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Chemin perduIl est dit que la forêt garde en elle les âmes égarées. Il y a fort longtemps un couple trouva refuge dans une maison majestueuse nichée en son cœur. Loin des tumultes des villes le lieu possédait une certaine magie, mais aussi la capacité de faire surgir les peurs chez ceux qui s’y aventurent. La femme ne supporta plus cette maison et cette forêt mais le mari voyait dans ces peurs que de simples hallucinations. Alors la femme décida de partir seule et se perdit sur les sentiers mal dessinés… L’homme en mourut de chagrin, la forêt elle se nourri de ces âmes égarées pour attirer peut-être à elle d’autres imprudents promeneurs… Peut-être ces trois gamins qui participent à un jeu de chasse au trésor ? Plus débrouillards que les autres ils sont persuadés (ou se persuadent) qu’ils vont l’emporter haut la main en prenant des chemins de traverse. Pourquoi suivre la ligne choisie par les autres groupes alors que c’est si simple de passer par le cœur de la forêt sur ce sentier baptisé sobrement « Le chemin des gentils arbres déguisés en apaches » ?

Si le début de cette épopée pourrait s’apparenter à une gentille promenade entre amis, le décor ambiant puis l’absence de repères deviennent vite étouffant pour les trois garçons qui se demandent avec le temps, et les peurs naissantes en eux, si le chemin classique n’aurait pas dû être malgré tout privilégié. Seulement voilà, sur les chemins classiques les chances de rencontrer un cerf monumental, un renard parlant à la recherche de sa bicyclette folle autopropulsée, un bar étrange niché au creux d’un terrier, des hérissons danseurs, un ogre dont les cheveux deviennent des branches tentaculaires et une fée peu joyeuse qui cache en elle bien des secrets et pas des plus lumineux, deviennent bien plus rares. Qu’adviendra-t-il à nos trois garnements dans cette mystérieuse forêt ? Bien des choses me direz-vous et tout naturellement le principal restera pour eux cette sensation étrange d’avoir gouté à l’âme de ce lieu qui détient au moins autant de secrets que la plus farfelues des imaginations peu en dessiner…

D’un point de vue graphique et esthétique Amélie Fléchais impose sa touche, c’est foisonnant, suffisamment structuré pour créer l’envie et suffisamment déconstruit pour rendre les rêves possibles. Les dessins parfois volontairement chargés portent en eux le message des dangers qui guettent dans cet environnement boisé souvent propice aux contes pour enfants pas forcément sages. Et justement si nous devions trouver une faiblesse dans ce récit maitrisé, il viendrait du cadre de l’action maintes et maintes fois exploré qui n’appelle pas à l’originalité, même si sa déclinaison dans Chemin perdu donne à voir le meilleur. Amélie Fléchais mêle dans cet album des planches en noir et blanc à des planches colorées dont certaines en pleines pages se révèlent somptueuses par leur cadrage, leur mélange de textures et de formes et leur portée émotionnelle. Une jeune artiste qui a beaucoup à dire et qui sait jouer de ses influences sans s’y enfermer. C’est rare pour le souligner et dénote déjà d’une grande maturité artistique. Bravo !

Amélie Fléchais (avec des textes de Jonathan Garnier) – Chemin perdu – Soleil (coll. Métamorphose) – 2013 – 17,95 euros