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La BD du jour : Clichés de Bosnie de Ducoudray & Ravard



Voyager en Bosnie pour suivre un convoi humanitaire sur près de 1800 kilomètres, voilà ce qui attend Aurélien lorsqu’il décide de se rapprocher d’Arlette, la dirigeante d’une association locale de soutien aux familles sinistrées par l’un des conflits européen les plus sanglant depuis la seconde guerre mondiale. De ce voyage Aurélien rapporte des clichés pris sur le vif qui le ramène aussi à une réflexion sur sa pratique…

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clichesdebosnie_couv1Lorsqu’Aurélien Ducoudray découvre dans un journal local qu’un convoi humanitaire se prépare à partir pour la Bosnie, il n’hésite pas un seul moment, il doit en faire partie. Lui, photographe pour un quotidien de province sans le sou, devra pendre des congés pour ramener des clichés de ce séjour qui pourrait bien faire l’objet d’un cahier conséquent de seize pages dans Le Cri du peuple. Il devra aussi se rapprocher de l’association qui gère le convoi, et notamment de la dynamique Arlette, pour se faire « engager », chose pas si évidente si l’on considère que les places sont chères est a priori déjà toutes affectées à des adhérents qui suivent le projet depuis quelques temps déjà. A la faveur d’un désistement de l’un des membres supposés, Aurélien valide son billet pour Tuzla. Mais si les opérations humanitaires de ce type sont souvent montées à grande échelle pour amortir les frais logistiques, dans le cas présent, il ne s’agit de suivre qu’un seul camion, moins tape-à-l’œil peut-être pour un photographe mais peut-être l’assurance de pouvoir entrer dans le concret, par les échanges avec les membres qui partagent leur expérience, leur vécu du terrain et leurs espoirs. Apprivoiser Arlette se révèlera l’une des premières étapes du voyage pour le photographe, l’assurance en tout cas de saisir les motivations qui la font se démener sans compter. Les apparences de façade cachent parfois des secrets enfouis. Si Aurélien sait que cette expérience unique mérite d’être saisie dans l’instant, avec le plus de détachement possible, pour faire fi de l’affect qui pourrait dénaturer la nature des clichés captés à la volée, il sait aussi qu’il n’aura peut-être qu’une vision de ce qui se joue en Bosnie, une vision sombre ou pleine d’espoir, en fonction du recul qu’il s’autorisera à prendre…

Avec Clichés de Bosnie Aurélien Ducoudray livre un récit foisonnant sur cette expérience unique vécue dans une Bosnie en reconstruction. Il livre ce moment sans rien occulter, défaut ou pas ?  C’est selon la vision du lecteur. On ne peut en tout cas lui retirer le bénéfice de la sincérité. Sur le fond il ne faudrait peut-être pas retenir ce témoignage comme le carnet de voyage d’un convoi humanitaire classique. Il faut chercher au contraire dans l’humain, la galerie de portraits offerts, dont certains auraient peut-être mérités d’être plus creusés, tout l’intérêt du récit. Car au-delà du rôle de l’association dans la mise en place du convoi, chaque membre de cette épopée cache en lui des finalités parfois surprenantes. Il faut retenir aussi la réflexion ouverte sur une pratique, celle du journalisme (photojournalisme pour être exact), qui offre une seconde piste de lecture possible et justifie à elle seule le titre de cet épais album. Le cliché pris sur le vif reflète-t-il une réalité de l’instant ? Ou une déformation de cette même réalité ? Peut-on percevoir tous les enjeux d’une situation à travers quelques photos glanées dans un contexte qui nous dépasse ? En prenant le parti de raconter son récit sans faire abstraction des moments plus intimes, dans lesquels l’émotion remonte brute à la surface, le scénariste se fait sincère en évitant de virer dans le pathos. Soutenu par un dessin efficace de François Ravard, qui offre, sur la forme, le bon traitement pour ce genre de récit graphique, ni trop chargé, ni trop absent, Clichés de Bosnie impose incontestablement sa patte. Recommandé !

Ducoudray/Ravard – Clichés de Bosnie – Futuropolis – 2013 – 27 euros