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La BD du jour : Cœur de ténèbres de Pécau et Bachelier (Delcourt)



Adaptation d’un des textes majeurs de Conrad, Au cœur des ténèbres par deux auteurs inspirés. Cœur de ténèbres se lit d’une traite dans une immersion totale, avec en prime, une réflexion sur l’horreur et cette capacité de l’homme à la rendre toujours possible…  

En mars 1793 la Convention décide d’une levée de 300 000 hommes pour lutter contre les armées européennes engagées contre la France de la Révolution. En Vendée le message passe mal. Les hommes préoccupés par d’autres desseins n’acceptent pas la levée et entrent en opposition armée avec le pouvoir central. Ce sont les débuts des guerres de Vendée. C’est dans ce contexte que le jeune lieutenant Varenne entre en scène. L’officier qui croit encore en l’homme espère être envoyé sur le Rhin pour fuir les boucheries dont il est un des acteurs malgré lui en Vendée. Il est appelé par le général Westermann pour une mission particulière : retrouver le colonel Scherb dont l’armée républicaine n’a plus de nouvelles et qui aurait, selon certaines rumeurs persistantes, détourné son escadron pour appliquer le principe de liberté entre les hommes. Le colonel, après la bataille de Savenay n’aurait pas rejoint ses lignes ni donné de nouvelles, allant jusqu’à tuer des armateurs nantais engagés dans la traîte négrière. Le colonel Scherb, dissident, qui aurait sombré dans la folie, serait à la tête d’une véritable armée et régnerait sur une enclave marécageuse d’où aucun opposant à sa vision ne serait revenu. Varenne et son compagnon Mohawk, Uncas, vont redescendre le fleuve qui les mènera jusqu’à l’entrée du royaume de Scherb, pour ramener sa tête au général Westermann… Le début d’une descente aux enfers.

A l’origine, le texte Au cœur des ténèbres de Conrad que Pécau décide d’adapter. Ensuite un travail de fond pour s’approprier toute la force des mots de l’auteur polonais d’écriture anglaise et transposer le récit dans une autre époque et un autre cadre. Ajoutons une liberté laissée au dessin qui trouve ici, en la personne de Benjamin Bachelier le support de choix au récit, et nous entrons en possession d’un album qui mérite toute l’attention de son lecteur. Tout se lit dans les jeux de regards, les dits et les non-dits, cette ambiance pesante, chargée, qui place les hommes dans un contexte exceptionnel qu’ils ne maîtrisent pas, assujettis qu’ils sont aux ordres qui les dépassent. Le jeune Varenne et son compagnon de route se voient projetés dans une mission qu’ils ne peuvent cautionner mais dont ils devront s’acquitter malgré eux. Dans un territoire breton où l’Ankou n’est jamais loin, la légende de Scherb laisse planer bien des mystères. Un album d’une force d’attraction étrange, dont les dessins se font, au fil du récit, plus lâchés pour accompagner la divagation des hommes. Un livre qui mérite plusieurs lectures.

Pécau et Bachelier – Cœur de Ténèbres – Delcourt