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La BD du jour : Douce pincée de lèvres en ce matin d’été de Laurent Bonneau



Essayer de comprendre, de se nourrir de l’échec pour éviter qu’il ne devienne récurent et pour le surpasser. Max, le jeune homme du récit construit de main de maître par Laurent Bonneau trouve refuge dans la philosophie orientale. Il y puise un sens, une orientation pour sa vie future. Un récit intimiste qui fait mouche et révèle un auteur à suivre…

 

Se plonger dans Douce pincée de lèvres en ce matin d’été, c’est accepter de partir pour un long voyage. Pas un de ceux qui nous mène vers des contrées toutes plus flamboyantes et exotiques les unes que les autres et dans lesquelles l’Aventure (avec un grand A) se vit à vitesse stratosphérique. Non, plutôt un de ceux qui se font plus personnels et vaporeux, vécus à travers le prisme d’une conscience naviguant sur des sentiers peu balisés et qui ne demandent pas forcément à s’éclaircir. Le titre de l’album possède d’ailleurs en lui suffisamment de mystères pour capter notre attention et suffisamment de poésie pour saisir les enjeux fragiles qui se trament dans le récit.

Max entraine de jeunes compétiteurs prometteurs au tennis de table en vue d’une compétition en Chine. Un matin comme un autre, réveil, téléphone portable, déjeuner, chat qui ronronne, départ en vélo. Max se dirige vers le gymnase où ses futurs champions règlent les derniers détails qui leur permettront peut-être de gravir des échelons au point de taquiner de près les compétiteurs chinois, rôdés dès leur plus jeune âge aux longues cadences d’entrainement qui leur permettent d’acquérir les réflexes nécessaires à posséder pour prétendre intégrer le gratin mondial. Max reste un perfectionniste et il s’investit à fond pour ses champions. Un investissement qui cache peut-être le fond du problème. Le jeune homme doit faire face à une rupture sentimentale qui le ronge. Nous ne saurons pas les raisons de cette séparation. L’intérêt est ailleurs, il se cache dans cette analyse fine des conséquences, dans ce qui suit et qui nourrit ce sentiment étrange de culpabilité, de défiance de l’avenir et de ses souvenances amères des moments passés. Max essaye de comprendre, il constate surtout qu’Elle ne quittera peut-être jamais ses pensées et que sa Présence m’apporte encore beaucoup. Pour surmonter cet échec personnel, le jeune homme trouvera refuge dans la philosophie orientale, le Yi, une idée d’une orientation intérieure. C’est la force de ton esprit, en gros. On ne perçoit sa manifestation qu’à travers les actes. L’action précède donc la pensée. Tout comme l’éducation précède l’instruction. Au travers d’elle il retrouvera un sens, peut-être les moyens de comprendre l’échec et de le surmonter…  

Le dessin de Laurent Bonneau s’affiche comme un long moment réflexif qui tisse sa toile pour nous happer dans un univers fait tout à la fois d’un rapport au temps différent et d’une étrange attraction pour ce qui se trame en dehors de l’évidence, du vu, nous permettant d’aller chercher des pistes dans ce qui se cache au fond de son personnage. On passe d’une planche à l’autre ou plutôt d’un dessin à l’autre avec cette impression rare et précieuse d’être différent après avoir pris le temps d’observer chacun d’eux. Dès lors l’introspection menée par le personnage nous touche forcément et au-delà nous questionne sur le sens de l’engagement, de la transmission, de la relation à l’autre. Le travail singulier de Laurent Bonneau, qui renverse les codes narratifs et graphiques de la BD traditionnelle possède une patte, une attraction pas forcément due à sa seule singularité mais plutôt à sa faculté de décortiquer ces instants de vie volatiles qui paraissent parfois vides, futiles ou transitoires mais dans lesquels se cachent bien souvent des éléments de compréhension future sur celui ou celle que nous serons demain. Exigeant et fort, donc essentiel.

Laurent Bonneau – Douce pincée de lèvres en ce matin d’été – Dargaud – 2013 – 16,45 euros