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La BD du jour : Killing Time de Kid Toussaint & Chris Evenhuis



Tuer n’est pas si facile, Gyorgi Owens l’a bien compris lorsqu’il décide d’accompagner pour la première fois un homme vers la mort. Puis tout s’accélère ensuite, et la pratique devient rituelle, comme codifiée et froide. Elle donne lieu à un polar asphyxiant autour d’un face à face entre une journaliste et le faucheur… Un polar à ne pas placer entre toutes les mains !

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killing-timeIl est parfois des albums qui laissent planer le doute sur leur sujet et sur leur déroulé. Killing Time donne un certain nombre d’indices sur sa couverture. Des indices qui posent incontestablement le contexte. Un homme, d’âge moyen, de dos, porte dans sa main gauche un sac de secouriste sur lequel est arborée une croix rouge avec le texte « Medic ». A vrai dire le personnage pourrait bien être un médecin ou un infirmier. L’autre main de l’homme est occupée par un revolver de type gros calibre. Deux éléments un peu antagonistes me direz-vous, mais nous le découvrirons au fil des pages de ce récit. Des gouttes de sang volatiles semblent s’échapper de la tête de ce personnage, comme si son esprit était focalisé par le sang, la mort qui se répand juste à côté de lui… Toujours sur la couverture, la toile de fond propose le squelette de ce qui ressemble à l’une des tours du World Trade Center. Des décombres occupent d’ailleurs l’avant de la scène juste au niveau de l’homme. En fond d’arrière-plan un cadran d’horloge rappelle le rapport au temps. Temps compté ? Temps perdu ? Temps à venir ? Tous ces indices titillent notre intérêt et nous poussent à tourner les premières pages.  

Tout s’éclaire très vite. L’homme de la couverture n’est autre que Gyorgi Owens un infirmier devenu serial killer. Mais pas n’importe quel serial killer, l’homme retirait la vie de patients en fin de parcours, accomplissait ce que d’autres n’osaient faire de par la loi, abréger les souffrances de condamnés. Vu de cette façon l’homme pourrait ne pas nous être totalement antipathique et pour cause, il ouvre une nouvelle forme de débat sur l’euthanasie et la gestion de patients en fin de vie. Reste néanmoins la forme et la récurrence de ses actes qui, au fil du récit posent des interrogations majeures. Même si les victimes avaient fait le choix de partir, devait-il pour autant accéder à leur souhait ? La différence entre un cancéreux métastasé et une dépressive suicidaire apparait abyssale, cette dernière n’étant pas « médicalement » condamnée. Gyorgi Owens ne faisait pas cette différence et ses actes ont été jugés avec la gravité qui s’y rattache. Alors qu’il purge sa peine à la prison Saint-James Owens reçoit la visite d’une journaliste du nom d’Isabelle Bauffays, qui souhaite écrire un dossier sur cet homme « Je ne suis pas là pour vous interroger ni pour avoir une opinion sur… sur ce que vous avez fait. Je suis journaliste et je veux juste que vous me racontiez votre histoire afin que les gens aient votre version des faits et sachent qui vous êtes vraiment… ». Le décor est posé, Gyorgi Owens se confiera… dans les moindres détails. Ce qui reste à découvrir dépassera pourtant ce que l’on est supposé croire au début de ce récit…

Avec Killing Time Kid Toussaint offre un récit sombre sur un serial killer au regard froid qui introduit néanmoins un positionnement quant à l’euthanasie. A défaut d’adhérer à ses actes, la réflexion sur les limites de la pratique trouve ici un point d’attache. Cet album reste néanmoins avant tout un polar oppressant qui joue sur le face à face entre les deux protagonistes. Dans un jeu subtil de flashbacks l’histoire s’épaissit par des trames parallèles qui viennent densifier le déroulé. Notamment cette rencontre-retrouvailles entre deux anciens qui ne manque pas de sel et de piments. Le dessin laisse apparaitre tout à la fois la froideur des sentiments et la détermination d’Isabelle Bauffays. Un polar efficace donc, on n’en espérait pas moins de la part des deux auteurs !

Kid Toussaint & Chris Evenhuis – Killing Time – Ankama – 2013 – 13, 90 euros