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La BD du jour : La Gloire de mon père de Scotto, Stoffel & Tanco



Des vacances au soleil de la garrigue. Dans cet arrière-pays, difficile d’accès lorsqu’on y trimballe des charrettes bringuebalantes de meubles en bois et de tout un attirail désuet, Marcel (Proust) connaitra l’émerveillement à l’état pur. C’est dans ce cadre préservé, en observant son père et son oncle, en défiant chaque jour Mère nature, que le jeune homme nourrira une longue biographie à venir…

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LA GLOIRE DE MON PERE

La Gloire de mon père de Scotto, Stoffel &Tanco (Futuropolis)

Un père et son fils assis sur une roche recouverte de broussailles s’observent avec un regard qui en dit long sur leur plaisir d’être ensemble. Le père arbore sur son dos un fusil de chasse d’un autre âge et une ceinture chargée de munitions. Dans l’espace sauvage qui s’étend en fond on devine une région chaude où la nature, faune et flore confondus, conserve ses droits. L’homme, en grand invité de ce cocon de vie, se doit de respecter l’espace préservé qui lui est proposé. Si la nature sauvage lance son appel, tout commence pourtant à Saint-Loup dans les faubourgs de Marseille, des années plus tôt. Le père, Joseph de son prénom, instituteur, y exerce sa fonction avec un modernisme nourrit et renforcé pas la séparation de l’église et de l’état qui offre aux enseignants le « droit » de s’insurger contre l’arriérisme d’une institution placée entre les mains de quelques curés vieillissants et obtus. Le jeune garçon, Marcel, suit les cours de son père non sans faire montre de capacités exceptionnelles au regard de son jeune âge. Alors que la vie se berce des habitudes des uns et des autres, que Marcel entre en adoration pour sa mère Augustine, la petite famille, agrandie de Paul le petit frère, se dirige vers le cœur de la ville le père étant propulsé à la tête de la plus grande école de Marseille. Dans ce nouvel environnement Marcel déambule régulièrement avec sa jeune tante dans le parc Borély. Jusqu’au jour où celle-ci rencontre celui qui deviendra l’oncle Jules. Tout ce petit monde se verra quelques mois plus tard porté vers l’arrière-pays, vers ces garrigues illuminées et grouillantes d’une vie sauvage pour passer l’un des plus bels étés que le jeune garçon a pu connaitre…
Aborder une œuvre haute en couleurs comme l’est La Gloire de mon père reste à n’en pas douter un véritable exercice de style. En grande partie car Marcel Pagnol, dans ce récit très expressif, se remémore le temps de son enfance en y magnifiant chaque instant. Avec un brin de nostalgie il donne ainsi à voir toute la richesse de cette garrigue propice aux jeux d’enfants. Une garrigue qui exhale des parfums de thym frais gage de civets mémorables, de romarin, et de toute une flore sauvage faite de plantes et de buissons auxquels il est peu recommandé de se frotter, ce que fera pourtant malgré lui le jeune Marcel avec un chêne kermès qui affirme la rugosité de ses feuilles. Cette terre entourée de collines et de massifs rocheux (Garlaban, Tête Rouge, Taoumé) devient le terrain de jeu de Marcel, de son frère Paul, mais aussi de son père Joseph qui, avec l’oncle Jules, partira dans une chasse échevelée pour tenter de ramener dans de larges gibecières, lièvres, perdrix, faisans, merles, perdreaux, grives avec, comme but ultime, le souhait de dénicher de derrière les broussailles le trophée par excellence que représente la perdrix bartavelle. Le duo de scénariste composé de Serge Scotto et Eric Stoffel (Pandora, Oukase) reste respectueux de l’œuvre originale, s’attachant à retranscrire, par des dialogues ciselés, l’ambiance procurée à la lecture du roman. Une ambiance qui se voit enchantée par le dessin précis, riche et toujours dans le bon ton, le bon cadrage, le bon tempo de Morgann Tanco. Chaque scène, chaque contexte procure l’émoi. Celui d’une époque peut-être révolue où le temps possédait une autre valeur, celui où l’observation de l’environnement prévalait sur toutes les autres choses, celui aussi où le dialogue, fait de tirades et de débats au coin du feu l’emportait et alimentait les rêves et l’attente effrénée du lendemain. Premier roman de la quadrilogie Souvenirs d’enfance de Pagnol (La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets et Le Temps des amours) La Gloire de mon père ouvre un projet majeur des éditions Grand Angle, celui de publier jusqu’en 2020, à raison de deux à trois albums par an, l’œuvre principale de l’écrivain d’Aubagne. Cet album est proposé en deux versions qui se complètent, une classique en couleurs (travail remarquable de Sandrine Cordurié qui capte le « climat » et donne ce supplément d’âme au récit) au format 32×24 cm ; la seconde en noir et blanc grand format (35,6 x 26,0 cm) qui révèle le talent graphique de Morgann Tanco et se voit complété d’un beau cahier final. Un des meilleurs plaisirs de lecture de cette fin d’année !

Scotto, Stoffel & Tanco – La Gloire de mon père – Grand Angle – 2015 – 18,90 euros (version classique) ou 39,90 euros (version noir et blanc)