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La BD du jour : Les Indes fourbes d’Alain Ayrolles et Juanjo Guarnido (Delcourt)



Que Les Indes Fourbes plaisent aux lecteurs de MaXoE n’est pas une surprise. L’album primé lors de notre dernier Grand Prix des Lecteurs 2020 possède tous les ingrédients du récit agréable à lire. Des personnages typés, parfois grotesques placés dans des situations cocasses. Un cadre dépaysant dans une Amérique du Sud en pleine conquête, et une aventure détonnante qui décoiffe même les moins chevelus d’entre nous. Bref, un souffle frais qui fait du bien au neuvième art.  

Dans cette Amérique que certains nomment encore les Indes, les aventures palpitantes ne manquent pas. De terres conquises à l’arquebuse en passant par la christianisation des pêcheurs autochtones et jusqu’à la recherche de nouvelles richesses, or en tête, à faire tourner les têtes, les déambulations dans ce nouveau monde riche de promesses mais pas exempt de dangers, animent jusqu’aux esprits les moins intrépides des sujets de sa majesté (d’Espagne). Mais autant les espoirs les plus fous traversent les esprits des plus (ou moins) téméraires, autant les réussites manquent à se faire connaitre. Pour Pablos, rustre débrouillard élevé dans une famille de principes ou plutôt de commandements (dont le premier est « tu ne travailleras point »), la vie n’est pas des plus simples sur ces terres aux mille dangers. Et tout commence mal pour notre héros qui, tout juste embarqué sur le bateau le menant aux Indes, se fait prendre la main dans le sac à tricher aux cartes. Il finira par-dessus bord et dérivera un bon moment avant de s’échouer sur des terres pas forcément hospitalières sur lesquelles tente de s’organiser une communauté d’esclaves ayant conquis leur liberté. Esclave d’esclaves, l’ascension sociale reste encore à démontrer pour notre Pablos pas encore résigné. Au fil des jours et des semaines il s’intégrera à cette communauté avant de la fuir devant la nécessité d’y accomplir des tâches pour le bien de tous. Vie sans opulence mais sans connaitre la faim. Pas si mal sur le papier mais pas de quoi rêver non plus. Pablos quitte donc le village en construction et s’enfonce dans la forêt luxuriante qui couvre les terres dès quittées les plages de sable fin. Il tentera bien avec malice d’élever sa condition sans pour autant y parvenir, car, et peut-être est-ce là l’essentiel du message, celui qui n’a pas goûté aux richesses et qui ne possède pas la noblesse de sang, part avec un sérieux handicap pour forcer le destin. Dans un pays où les hommes rêvent de richesses folles alimentées par des récits mythiques parlant d’une cité recouverte d’or, l’Eldorado, tout reste pourtant possible à condition de masquer sa condition et de faire preuve d’une ingéniosité débordante…

A la base du récit concocté par Alain Ayrolles et Juanjo Guarnido, le roman picaresque écrit en 1623 par Francisco de Quevedo-Villegas, Don Pablo de Segovie, qui narre l’histoire d’un Pablos en recherche perpétuelle d’ascension sociale que trahit ses origines. De ce récit bourré d’humour à base de situations cocasses, son auteur devait offrir une suite qui ne verra hélas jamais le jour… Jusqu’à ce que Juanjo Guarnido et Alain Ayrolles décident de reprendre cette idée. Ils transposent alors le récit sur le nouveau monde, là où tous les possibles permettent le déroulé de narrations enlevées et dépaysantes. Pablos y conserve son caractère et son pedigree, cette envie aussi de s’élever socialement, pas par le travail ou le fait d’actes héroïques qui lui permettraient de gagner un titre ou une charge qui lui assureraient une vie paisible, mais par la filouterie, la friponnerie, voire la trahison et la perfidie accomplies avec un naturel sidérant et sans éprouver le moindre remord. Dans cet exercice les deux auteurs excellent. D’abord par la volonté affichée tout du long de conserver le ton du roman de Quevedo-Villegas, et d’y développer un personnage singulier à fort caractère évoluant dans des contextes qui semblent le dépasser mais dont il sait tirer la moindre opportunité. Le fantasque héros, acteur hors pair, sait capter l’attention et s’effacer quand il le faut. Juanjo Guarnido parvient graphiquement à dépeindre la moindre de ses expressions, chose essentielle tant Pablos rayonne d’abord par ses mimiques et ses états changeants. Il parvient aussi à dépeindre cette Amérique faite de dangers et de promesses, le tout en conservant un rythme effréné tout au long des 160 pages du récit. Le sens du dialogue de Ayrolles scotche quant à lui le lecteur d’entrée. Le scénariste sait capter l’attention de son auditoire sans jamais faiblir ou ajouter de longueurs. Les rebondissements nombreux jusqu’à un final étourdissant font des Indes Fourbes un récit marquant qui pourra se relire plusieurs fois avec le même plaisir.  

Alain Ayrolles et Juanjo Guarnido – Les Indes Fourbes – Delcourt