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La BD du jour : Les nuits de Saturne de Pierre-Henry Gomont



Beaucoup s’essayent au polar sans le maîtriser vraiment. Pierre-Henry Gomont aime le genre, il s’y vautre depuis ses débuts auscultant le parcours de ces hommes et de ces femmes qui ont tout perdu ou presque et qui flirtent désormais avec la mort. Et il le fait plutôt bien, créant sans cesse les ambiances moites sur lesquelles ses personnages évoluent et qui servent d’exploratoires à l’analyse des pensées profondes de ces héros « à la limite »…

Sarbacane
Les nuits de Saturne

Les nuits de Saturne de Pierre-Henri Gomont – Sarbacane (2015)

Une prison aux bâtiments massifs surplombés d’un mirador capable de dissuader les plus aventureux des détenus. Le gardien appelle les hommes, mais pas tous, seuls ceux qui vont enfin pouvoir respirer l’air du dehors. Il butte sur le nom de l’un d’entre eux, un certain Milan Klosi Klo-vise-vitch. Pas facile à prononcer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’homme était connu sous le surnom de Clovis. Une fois les portes ouvertes il se dirige vers la gare et prend un train à destination de Grenoble. Puis se rapproche d’un immeuble où réside un certain C. Meyer. Un vieil homme qui semble le connaître et qui sans l’attendre vraiment se dit prêt à partager une bonne bouteille avec lui. Mais Clovis n’est pas là pour ça. Il est venu chercher des affaires qu’il avait laissées chez l’homme, et notamment un Armington 72, un flingue qui va sûrement lui servir à accomplir une vengeance contenue depuis dix ans maintenant…
Pierre-Henry Gomont aime le polar, les récits sombres qui mettent à l’épreuve ses personnages, les poussent dans leurs derniers retranchements mais offrent pourtant une échappatoire possible, une lumière fragile et ténue qui émerge des ténèbres et nuance un présent des plus accablant. Placés au bord d’un gouffre qui semble les happer ses héros expriment alors toute leur force et toute leur fragilité. Avant de sombrer ou de se dissiper dans cette nuit qui l’emporte presque toujours. Catalyse publié en 2011 chez Manolosanctis se déclinait sous forme de thriller social explorant les méandres du monde de l’entreprise, Crématorium publié un an plus tard dans la collection KSTR de Casterman jetait le feu sur une campagne sans âme de la France profonde dans laquelle deux jeunes gens exprimaient leurs sombres pensées. Dans Rouge Karma il  partait dans les bas-fonds de Calcutta pour tenter de démêler une histoire obscure au sein de laquelle une femme enceinte jusqu’aux yeux voulait remettre la main sur son époux disparu sans laisser de traces. Les nuits de Saturne fait quant à lui se croiser deux destins meurtris, celui de deux hommes que tout semble opposer. Milan dit Clovis, sorti tout juste de prison après dix ans passé à l’ombre et Césaria, jeune homme imberbe niché sur talons haut qui vivote dans un monde qui ne l’accepte pas ou si peu. Les deux feront un brin de voyage ensemble dans une improbable chevauchée vers l’inconnu et ne seront plus jamais les mêmes. Pierre-Henry Gomont excelle dans la mise en ambiance de ces récits, dans la manière de traverser ses personnages et de leur offrir une dimension à la hauteur des troubles qui les traversent. Le choix de développer de manière minutieuse certaines scènes participe à ce rapprochement avec les personnages tout comme il crédibilise l’action qui se joue devant nous. Le dessin parfois évanescent, léger, délicat participe à la mise sous tension. Cette adaptation du roman Carnage constellation de Marcus Malte se fait donc immersive laissant l’improbable se développer devant nos yeux qui louvoie sur des planches superbement composées. Un des albums phare de la rentrée !

Pierre-Henry Gomont – Les nuits de Saturne – Sarbacane – 2015 – 22, 50 euros