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La BD du jour : L’esprit à la dérive de Samuel Figuière



 

Un homme atteint d’un mal incurable qui l’empêche progressivement de communiquer avec ses proches. Ce n’est pas un récit facile que nous propose Samuel Figuière, d’autant plus si l’on considère que l’homme en question n’est autre que son père. Histoire poignante qui ne tombe jamais dans le pathos dans laquelle le dessinateur tente de relier les liens distendus par le poids des ans… Superbe !

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L’esprit à la dérive de Samuel Figuière – Warum (2015)

Deux hommes déambulent dans une campagne vallonnée et observent un rapace qui survole le ciel juste au-dessus d’eux. Une buse ? Un aigle ? Non un vautour. Une conversation pour passer le temps. Un temps qui fait son office et se distend comme les rapports qui unissent les deux hommes. Le plus jeune est le fils et le plus âgé le père. Leur relation n’a jamais été simple. Alors lorsqu’ils se retrouvent ils marchent parfois tous les deux côte à côte, comme il y a plus de vingt ans. Un jour pourtant les habitudes se rompent lorsque le père fait un malaise dans un restaurant. La chaleur aurait pu en être responsable pourtant c’est un autre mal qui sera détecté. Atteint d’une maladie dégénérative sa santé décline au point qu’il lui devient difficile de s’adonner à son passe-temps favori, peindre. Alors que l’homme quitte progressivement ce qui le rattache au réel, le fils va tenter de redécouvrir celui qu’il a été, pour comprendre son parcours, son engagement et expliquer, pourquoi pas, certaines zones d’ombres qui lui ont été attachées toute sa vie durant…
Difficile exercice que celui de parler de son histoire personnelle, surtout lorsqu’elle concerne un moment difficile de sa vie. Pour Samuel Figuière, évoquer la relation parfois compliquée avec son père peut se lire comme une thérapie. Pour mieux comprendre les erreurs du passé et profiter d’un présent éphémère marqué par la maladie du père qui perd progressivement le contrôle pour migrer vers une aliénation irréversible. Pour profiter des brefs moments qui le sépare d’une fin programmée, Samuel Figuière se replonge dans les souvenirs d’enfance, tente de percer le secret d’une distance qui s’est créée sans que rien ne vienne la perturber : Enfant je vouais une admiration sans borne à mon père. Je le voyais comme une sorte de demi-dieu. Adolescent, le rejet fut proportionnel à l’adoration juvénile. Pour comprendre l’homme que fut son père, le dessinateur se plonge alors dans la lecture des carnets qu’il a tenus lors de la guerre d’Algérie. Une guerre à laquelle il ne voulait pas être associé et qui le marquera à jamais. Car placé au cœur d’un quotidien qui devait creuser des abymes déshumanisants le jeune homme d’alors maintenait solidement le cap dans son refus de porter les armes. Il en subira les brimades, les violences morales et physiques mais gagnera aussi le respect précieux d’autres de ses camarades. Revenu en France il vivra de son travail d’ouvrier-agricole tout en s’oxygénant par la peinture qui le suivra toute sa vie. Récit d’une extrême pudeur, Esprit à la dérive ne montre jamais par complaisance la progression de la maladie et les malaises qu’elle crée sur les proches qui ne peuvent que subir son irréversibilité. Le dessinateur parvient par contre, en se plongeant dans le passé de son père à retrouver l’estime perdue, une certaine admiration et une affection qui sonnent comme autant de rapprochements possibles. Récit graphique poignant réalisé en noir et blanc, L’esprit à la dérive nous poursuit longtemps après sa lecture, sa lecture n’en est que plus hautement recommandée.

Samuel Figuière – L’esprit à la dérive – Warum – 2015 – 18 euros