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La BD du jour : L’homme de l’année 1917 de Duval/Pécaud/Mr Fab



Notre méfiance restera toujours de mise face au développement de séries concepts pas toujours qualitatives qui essayent de pénétrer un marché qui tend vers une morosité relative. L’homme de l’année laisse un maximum de latitude au traitement du propos développé dans chaque opus. Le premier volet fait mouche et nous resterons donc attentifs au développement des prochains épisodes annoncés…

 

Le 10 novembre 1920, dans une alcôve du Fort de Verdun, se tint une cérémonie singulière. Le ministre des pensions de l’époque, un certain André Maginot, célèbre pour avoir édifiée la ligne qui porte aujourd’hui son nom, entouré d’une partie de l’Etat-major français s’attache à rendre hommage aux trop nombreux hommes qui ont laissés leur vie lors de la Grande guerre. Hommage symbolique qui permettra aux générations futures de ne pas oublier l’horreur mais aussi de prendre conscience de ce que fut le destin de millions de soldats plongés malgré eux dans un conflit construit par des généraux en charentaises et vécus de l’intérieur par une multitude d’hommes à peine aguerris aux techniques de combat. Des hommes aux visages arrachés, d’autres aux corps meurtris, amputés d’un bras, d’une jambe. S’ils ne sont pas morts dans les tranchées ils portent sur eux le témoignage de leur engagement forcés dans un conflit dont les intérêts les dépassent, eux issus, pour la plupart, des campagnes françaises ou des coins les plus reculés d’un Empire qui bientôt vacillera.

J’ai sous les yeux plusieurs rapports qui disent que les hommes sont montés à l’assaut : « Transis et malheureux » et semblaient « Dépaysés et tristes ». En un mot, ils n’ont plus les nerfs, on me rapporte des cas de morts subites, la victime ne porte aucune trace de blessure, elle s’assoit et meurt, simplement, comme si elle en avait assez de tout ça, indique un rapporteur à un haut dignitaire du commandement des armées françaises paisiblement installé dans sa demeure à déglutir un large repas dos tourné vers une cheminée d’où craquelle un bois rougit par les flammes. Le récit s’attache notamment à exposer l’écart qui sépare un haut commandement carriériste et incompétent et des hommes du rang valeureux mais déboussolés et rongés par la peur. Beaucoup y laisseront leur vie…  

Pour rendre hommage à ces héros de l’ombre, il est décidé de désigner un soldat inconnu qui incarnera la mémoire du conflit et des hommes qui l’ont vécu. Huit cercueils renfermant les corps de huit soldats morts sur les fronts de la Somme, des Flandres, d’Artois, d’Ile-de-France, du Chemin des Dames, de Champagne, de Verdun et de Lorraine sont réunis dans cette antichambre de la mort. Le soldat Auguste Thin, désigné par l’Etat-Major pour choisir le futur soldat inconnu s’arrêtera sur le sixième…

Delcourt nous propose une nouvelle série concept historique qui s’articule autour de quelques hommes de l’ombre. Le principe est simple donner la parole à des « anonymes » qui ont incarné leur époque. Le premier volet de cette série se porte sur la première guerre mondiale. Le scénario astucieux se construit autour de ces oubliés du conflit, les tirailleurs ivoiriens, et à travers eux, de Boubacar, dont nous suivrons l’histoire. La latitude laissée aux scénaristes, Duval et Pécaud et à leur dessinateur Mr Fab, permet de partir loin d’Europe pour assister à la naissance d’une amitié sincère entre ce grand enfant fidèle et Joseph, un capitaine au grand cœur. Rattrapés par les tensions sur le vieux continent, les deux hommes se retrouvent sur les champs de bataille meurtriers.

Les récits sur la Grande guerre foisonnent et se singulariser devient un véritable défi pour ne pas tomber dans la redite stérile. Si l’homme de l’année 1917 subit parfois la comparaison, il n’en reste pas moins plaisant pour son graphisme efficace dans la description des tranchées et des horreurs de cette guerre. Le scénario, même s’il n’est pas révolutionnaire en soit, se lit avec un réel plaisir, happé que nous sommes par le destin de Joseph et Boubacar. Une humanité et une exigence transpirent de chaque page et, rien que pour cela, ce premier volet de L’homme de l’année, mérite notre lecture attentive !

Duval/Pécaud/Mr Fab – L’homme de l’année 1917 – Delcourt – 2013 – 14,95 euros