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La BD du jour : Moi Jeanne d’Arc de Valérie Mangin et Jeanne Puchol



Nous connaissons tous le destin de la pucelle d’Orléans, femme libre qui, à la tête d’une armée de fortune, parvint à créer un désordre dans les rangs anglais. Valérie Mangin et Jeanne Puchol proposent une relecture de ce destin qui fera peut-être grincer des dents mais qui possède le mérite de désacraliser aussi le personnage, de le rendre plus humain, plus femme…  

 

 Ecrire une Jeanne d’Arc aujourd’hui pourrait ne présenter qu’un intérêt mineur. Le destin de la jeune femme demeure l’un des plus connus de notre histoire de France. Visage angélique qui, à la tête de quelques soldats enrôlés pour libérer des cités tombées entre les mains de l’envahisseur anglais, a tout fait pour permettre l’accession effective au trône du Roi de France Charles VII. Peut-être alla-t-elle jusqu’à faire naître la peur chez ceux qui s’opposaient à sa rapide ascension dans les chroniques de l’Histoire ? Peut-être est-ce pour cela qu’elle fût sacrifiée et mise au bûcher à la suite d’un procès qui défia bien des règles et qui vit la jeune femme abandonnée comme une chienne galeuse par ceux qu’elle servit sans réserve. Le destin réserve bien des tours aux ascensions rapides et la chute peut s’avérer tout aussi sévère. Un nouveau récit sur Jeanne d’Arc pourrait donc très bien passer inaperçu, redondant avec la masse des écrits déjà publiés sur la jeune femme. Autre danger de l’exercice, qu’explique Valérie Mangin dans la préface de cet album, la récupération politique dont fait l’objet la pucelle d’Orléans. Pour autant doit-on s’empêcher d’écrire ? Doit-on accepter une certaine forme de censure qui au nom d’une quelconque « bienséance » effacerait les images et la symbolique attachées à ce personnage de l’Histoire ? Jeanne d’Arc ne doit pas se décliner comme une icône mais comme un symbole de liberté et d’émancipitation.

Le travail de Valérie Mangin et Jeanne Puchol désacralise cette héroïne pour rendre femme la jeune fille, habitée par des questions existentielles par rapport à ce qu’elle vit : l’amour, la peur, l’envie, le but de sa mission… Même si elle reste bridée dans son action – le nouveau Roi de
France ne lui permettra pas de réaliser tous ses objectifs militaires – elle s’accomplira (en partie) comme femme. Une femme étrangement moderne qui reste libre de son destin, repoussant les avances d’un Gilles de Rais offensif dans ses preuves d’amour. Elle se refusera en mémoire de Marie – son amie d’enfance – dont elle reste éprise, mais aussi pour ne pas se ranger dans les canons de l’époque, où la femme, une fois mariée, ne peut plus exister par elle-même, mais uniquement au travers de son époux.

Voilà exposée en quelques lignes la trame de cette relecture du destin de Jeanne d’Arc. Certes Valérie Mangin et Jeanne Puchol ont pris des libertés avec l’histoire qui aime peu les extrapolations ou les imaginaires romancés, fussent-ils déductions logiques d’une analyse de faits avérés. Les deux auteures de cet album ont conscience des critiques potentielles que cela peut engendrer. Et pourtant cette faiblesse, s’il s’agit bien d’une faiblesse – l’album ne revendique aucune ambition historicienne – demeure aussi une force certaine. En développant une Jeanne d’Arc sorcière, femme libre, elles parviennent aussi à se reposer des questions autour de ce personnage central de notre histoire. Car si les certitudes et l’analyse des faits sont l’apanage des sciences, celles-ci ne peuvent offrir une vision globale d’un personnage complexe, animé par une vision, un contexte, des envies, des appréhensions face au quotidien et tout ce qui forge une personnalité, autant d’éléments qui ne foisonnent pas dans les cartulaires ou chroniques d’époques…

Valérie Mangin et Jeanne Puchol – Moi Jeanne d’Arc – Des ronds dans l’O – 2012 – 17,50 euros