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La BD du jour : Nungesser de Bernard et Aseyn



La première guerre mondiale inspire les auteurs de tout bord et notamment ceux du neuvième art qui donnent à voir un conflit où les images manquent parfois aux mots. Loin de tout académisme Fred Bernard livre le récit d’un As de cette guerre. Un des premiers héros du ciel qui donna la force aux autres de lutter jusqu’à la mort. Le dessin magnifique d’Aseyn apporte cette dimension qui caractérise les projets majeurs. Dans la précision, le romantisme et l’approche subtile qui contourne les facilités…

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Nungesser de Bernard & Aseyn – Casterman (2015)

Un homme et une femme que l’on apprend être mariée batifolent sur une plage. Les deux s’aiment d’un amour « interdit » comme aime à le nommer la société bien-pensante de cette fin de dix-neuvième siècle. Le lendemain, au Fouquet, l’homme se perd dans les bras d’une fille de joie avant, quelques jours plus tard, de prendre les commandes d’un des premiers avions de combat de la Grande guerre. Les trois scènes résument un peu la vie de cet homme qui ne s’interdisait rien, ne craignait ni le danger, ni la mort, ni le jugement de cette bourgeoisie à laquelle il appartient pourtant… de loin. Lui c’est Nungesser, un des as de la première guerre mondiale, passé à la postérité sans pour autant chercher la gloire. Un homme libre, aimant, habité de cette énergie et de ce brin de folie qui sont autant de marques de fabrique des légendes.
Fred Bernard ne connaissait pas Nungesser avant de s’attaquer à ce projet. Pour autant il sentait que le travail biographique d’un tel personnage pouvait accoucher d’un séduisant projet. Pour parvenir à crédibiliser son récit l’auteur bourguignon n’a pas chômé, lisant à peu près tout ce qui a été écrit sur cet As de la première guerre mondiale qui a défrayé la chronique de son vivant autant pour ses victoires homériques dans un ciel promis à la mort que par ses écarts une fois revenu sur terre. Autant les exploits accomplis avec son Nieuport 17 ont alimenté les essais des historiens, autant la vie privée de Nungesser, près de 90 ans après la mort du pilote, avait conservé son opacité. C’est dans son travail minutieux de documentation que Fred Bernard a trouvé le fil conducteur de son récit, et ce, justement dans cette vie privée qu’il met ici en avant au travers du regard d’une maîtresse qu’il nommera Emilie. L’angle narratif trouvé, il ne manquait plus qu’à dérouler les fils d’une vie somme toute relativement riche, typique de celle que l’on pouvait observer dans la petite bourgeoisie de l’époque. Un départ très jeune pour l’Amérique du sud où il devait retrouver un oncle qu’il ne débusquera finalement que cinq années plus tard, après avoir accompli des exploits propres à alimenter les faits divers des journaux locaux. Dans ce bref épisode, loin des siens, le jeune homme forgera son caractère impétueux et son goût immodéré pour le risque, voire l’inconscience. Il montera ainsi sur un ring pour venger l’honneur de son pays après la déroute d’un boxeur français trop vite tombé sous les coups de son adversaire, volera dans un des premiers coucous construits pour défier les airs alors qu’il se savait pas piloter, se verra offrir un volant pour une course mythique à travers les Andes pour laquelle il rivalisera avec les premiers. Impétueux donc, le jeune homme affichait une  fierté à toute épreuve et cette avidité pour la maîtrise de ce qui pouvait paraître incontrôlable au tout venant, moins pour se singulariser que pour repousser toujours plus loin ses limites. Ce caractère trempé lui vaudra les honneurs de la guerre, une guerre au cours de laquelle il donnera de sa personne, manquant de se tuer à plusieurs reprises, se relevant toujours et déjouant les pronostics quant à un possible rétablissement. Jusqu’à son dernier défi l’homme aura toujours été accompagné d’une bonne étoile, peut-être parce qu’il savait, dans un ciel terriblement sombre, la faire scintiller mieux que les autres. Cette destinée en forme de comète, Nungesser l’a traversé avec Emilie. Lorsqu’il ne pouvait être à ses côtés, il l’emportait avec lui dans des pensées qui le dopaient et le poussaient à revenir, encore et encore, de ses voyages sans retour. Fred Bernard n’aime pas parler d’amour impossible car la relation avec sa muse, même si elle n’excite pas forcément les hagiographes, a bel et bien existé dans un monde peut-être trop peu ouvert sur les éphémères destins d’une jeunesse trop peu soucieuse de domestiquer le temps. Le dessin somptueux d’Aseyn sublime cette histoire. Fait d’un trait fin, riche et précis sur lequel se greffent des tâches d’encre, des effets vaporeux et contrastés, le dessin se voit offrir cette patine du temps qui donne à la narration toute sa dimension. Un projet qui ne tombe pas dans les multiples pièges de la biographie tout en développant un angle d’approche original qui autorise les « fuites » et donne toute sa dimension au romantisme d’une voix off en phase avec un héros redécouvert pour nous par deux auteurs inspirés…  

Bernard & Aseyn – Nungesser – Casterman – 2015 – 23 euros