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La BD du jour : Supplément d’âme de Kokor



Récit qui bouleverse l’ordre cartésien. Kokor nous livre avec Supplément d’âme sa vision d’un rêve éveillé fait de morosité et d’espérance, d’envie et de passion. Un récit qui conjugue surtout les envies d’un auteur inclassable…

 

Un homme prend place dans un ascenseur translucide au sommet d’un immeuble surplombant Dublin et se dirige vers la foule qui s’agite en contrebas. Nous sommes à l’heure du déjeuner et l’affluence laisse peu de place aux déambulations lascives. Cet homme enveloppé, qui peut ressembler à beaucoup d’autres, arbore une gabardine grise et un chapeau vissé sur sa tête. Il passe quasi inaperçu lorsqu’il marche ainsi dans la ville avec comme objectif de rejoindre l’emplacement situé sur le quai face à la mer où il déjeune tous les jours de la semaine à la même heure. Mais dès lors qu’il arrive à sa destination le monde qui l’entoure semble se mettre en éveil sans qu’il n’en prenne lui-même conscience. Des hauteurs de l’immeuble de bureaux qui surplombe le front de mer, des employés l’observent, certains pariant sur son heure d’arrivée, certains imaginants les plus folles histoires le concernant. Qui est-il vraiment ? Un auteur en recherche d’inspiration ? Pour Willie, la douce artiste qui ne compte plus ses déboires avec les hommes, les courbes de cet anonyme se trouvent devenir le sujet de ses sculptures qu’elle décline inlassablement en gigantesque oiseau qu’elle pose ensuite ça et là de manière anarchique dans la ville.

Dans cet album on y croise aussi tout un tas de personnages hétéroclites, un clown qui vend des lunch box dans une caravane étroite, une girafe géante, emblème d’une société internationale, des jeunes femmes encagoulées pour échapper aux caméras de vidéosurveillance, un intrus barbu dont le tord est de ne pas être à sa place, des petits hommes verts et rouges tout droits venus des affichages de nos feux tricolores, des mouettes tristes, un français venu travailler dans un service après-vente qui n’a jamais reçu de réclamation et bien d’autres encore. On y découvre aussi l’amour là où on ne l’attend pas, la tristesse des gens et cette capacité à croire en l’avenir, meilleur et partagé.

Kokor nous livre un récit construit comme un rêve, fait d’une ligne de trame qui dévie vers des imaginaires débordants au détour de planches, de cases qui se suivent avec l’idée que le sens/la compréhension de l’histoire repose surtout sur notre sensibilité/notre propension à décliner le monde. Une poésie qui dérangera peut-être les plus cartésiens mais qui respire les vents marins, frais et revigorants. Notre homme se frayera un chemin dans l’ombre de nos songes, pour autant il aura libéré le monde de sa morosité ambiante pour lui délivrer le secret du bonheur. Un récit bouleversant servi par un trait fait de volutes graphiques, de mouvements et d’une grande liberté d’approche…

Kokor – Supplément d’âme – Futuropolis – 2012 – 19 euros