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La BD du Jour : Terra Australis de LF Bollée & Philippe Nicloux



L’empire britannique connait des heures sombres. Sa colonie d’Amérique vient de lui être arrachée de haute lutte après l’engloutissement de sommes qui auraient pu ruiner le royaume. La misère s’affiche toujours plus criarde dans le Londres offert aux miséreux qui essayent, par de petits larcins, de repousser toujours plus loin une faucheuse décidément très vorace. Dans ce contexte une décision du gouvernement de William Pitt va changer la donne et permettre de formaliser l’un des plus grands défis de cette fin de dix-huitième siècle : coloniser Botany Bay et la Terra Australis… Un récit somptueux !

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Terra AustralisNous sommes à la fin du XVIIIème siècle à Londres. La misère s’affiche dans les moindres ruelles alimentée par ses enfants, abandonnés ou orphelins, jetés sur le pavé, ses mendiants chaque jour plus nombreux, ses filles de petite vertu qui vendent leur corps pour gagner quelques quignons de pains, ses anciens esclaves noirs tout droit venus d’Amérique et dont la couleur de peau attise les peurs… A sa décharge le Royaume-Uni vient de perdre sur le Nouveau Monde son attache en Amérique du Nord après une guerre livrée sans merci. Les Britanniques sont néanmoins tenaces et le monde qui dessine encore progressivement ses contours sur les terres australes va se retrouver profondément modifié par une décision de George III.

Un choix stratégique qui va bouleverser la donne et compléter les mappemondes jusqu’alors connues de tous. Une commission d’experts avait jugé bon que l’Empire britannique s’étende sur les terres peu connues de l’Afrique subsaharienne. Le terrain est néanmoins difficile par les chaleurs et une terre peu irrigable qui ne promet pas une installation aisée de colonies. William Pitt, alors premier ministre, suggère une autre destination au monarque, une destination pour l’instant connue des seuls (et rares) explorateurs anglais et français, la Terra Australis et notamment les terres découvertes autour de Botany Bay. Le début de la colonisation des espaces océaniens vient de débuter. Elle confirmera la puissance britannique sur le monde après des années noires et ruineuses héritées du conflit anglo-américain. Concrètement les nouvelles terres devaient répondre non seulement à ce désir d’accroitre la puissance britannique sur le monde mais aussi à cette nécessité de se débarrasser du reflux de violence qui parcourt Londres et rempli allègrement ses prisons. En cette fin de XVIIIème siècle les exécutions publiques se multiplient mais donnent une mauvaise image du pouvoir en place. Les peines capitales vont dès lors se trouver converties en années de bagne au-delà des mers… Les prémisses de la naissance d’une nouvelle colonie pouvaient dès lors s’envisager…

Au travers de parcours singuliers de bagnards dont le colosse Black Caesar et le jeune John Hudson mais aussi d’un capitaine au profil un peu particulier, Arthur Phillip, l’épopée de l’implantation et du développement de la colonie australienne pouvait voir le jour entre les mains de deux auteurs qui livrent, avec cet opus monumental de plus de 500 pages, non seulement un récit bouleversant, intime, sombre et néanmoins plein d’espoir, mais aussi un véritable essai artistique tant d’un point de vue scénaristique que du rendu graphique au trait et au lavis. Au-delà du travail éditorial qui a tenu bon jusqu’au bout pour offrir ce pavé, nous retiendrons le travail préparatoire colossal pour donner au récit une force tirée de la réalité historique complétée par un bol d’air salvateur de romanesque pour prendre le lecteur dans ses mailles et l’emmener à suivre les destins brisés des acteurs de cette épopée. LF Bollée arrive donc à ses fins. Cela n’a pas forcément été facile et il le dit tout en modestie dans la préface de l’album. La grande découverte vient de Philippe Nicloux qui a accepté de relever le défi : composer cette fresque durant cinq longues années. Un travail de l’ombre qui révèle aujourd’hui un vrai talent, celui qui tient dans cette façon de densifier les personnages, de crédibiliser les cadres dans lesquels évoluent les personnages, dans le choix des plans qui dynamisent constamment cet opus. Nous partageons le mal de mer des bagnards durant la traversée, nous découvrons émerveillés les nouvelles terres offertes et ce peuple aborigène dont les auteurs s’attachent à ne pas négliger le rôle dans l’installation de la colonie britannique.

Au final nous ne saurons trop conseiller de bloquer une bonne demi-journée pour lire d’une traite cet épais album dont le récit poignant reste longtemps en tête après sa lecture. Incontestablement l’album du premier trimestre 2013.

LF Bollée & Philippe Nicloux – Terra Australis – Glénat – 2013 – 45 euros