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La cuisine de nos chefs, les saveurs et les goûts qui titillent nos papilles (2ème partie)



Découvrir l’univers culinaire de grands chefs français demeure un privilège rare. Chacun possède son parcours, son vécu, son jardin secret qui lui permet de réveiller nos papilles et nous amener vers des goûts et des saveurs jusqu’alors ignorés de nos papilles. Le regain d’intérêt pour la cuisine au cours des dernières années a permis de voir fleurir sur les rayonnages de nos librairies nombre de recueils de recettes, d’expériences dévoilées par nos chefs. Et nous ne pouvons qu’être sensibles à cela car ces hommes et ces femmes ne sont pas les premiers à se mettre en avant. Non, bien souvent ils s’effacent modestement derrière leur cuisine qui révèle déjà le caractère de chacun. Beaucoup de sentiments passent par la cuisine, ce n’est pas seulement l’humeur du moment mais une véritable mise à nue. Les univers de Nicolas Masse et de Bernard Bach, deux chefs opérant dans le sud-ouest, ne sont pas si loin l’un de l’autre tout du moins dans la philosophie et l’approche, tournées en permanence sur l’ouverture et la mise en avant du produit. Pour Monsieur Merle, héros du roman de William S. Merwin, la vie coule peut-être un peu trop vite et le temps de trouver un successeur à son activité de négociant en vin apparait de façon prégnante. Poésie et terroir se conjuguent pour réveiller nos sens. Nos sens, Olivier Milhaud et Julien Neel les stimulent avec vigueur dans l’album Le Viandier de Polpette, une aventure dessinée qui mêle humour, fantasy et recettes simples de nos grands-mères… Un voyage dans le monde de la cuisine et du bon vin qui nous rappelle immanquablement à la terre…


C’est un étrange voyage au travers d’un havre de paix qui nous est proposé à la lecture de Retour aux sources – La cuisine de Nicolas Masse aux sources de Caudalie. Niché dans les vignes du château Smith Haut Laffite, non loin de Bordeaux, ce petit paradis sur terre semble édifié pour le bien-être de tous. Conjuguant soins à un cadre reposant où le temps semble suspendu, Caudalie s’impose comme une halte privilégiée dans les terres d’Aquitaine. L’aventure prend forme au début des années 2000 lorsqu’Alice et Jérôme Tourbier décident de prendre en main la destinée des sources de Caudalie. Ils vont ainsi, au fil des ans, se tourner vers le tourisme vitivinicole autour du château et de ses vins prestigieux mais aussi d’un hôtel qui se distingue par le soin attentif porté à la décoration de ses chambres. Si le site attire les regards il manquait pourtant à l’ensemble une cuisine digne de l’exigence et de la créativité qui transparait de ce lieu. Chose est réparée en 2009 lorsqu’Alice et Jérôme dépêchent Nicolas Masse de ses cuisines de St-Jean-de-Luz pour lui confier la lourde tâche de donner à Caudalie la table qu’elle mérite. Un an plus tard le résultat est là et le cuisinier normand décroche sa première étoile au guide Michelin. Une étoile qui récompense une cuisine généreuse marquée par la région mais qui ne néglige pas pour autant la créativité et le mélange des genres. Je vais chaque année en Asie, et je suis toujours sous le choc quand je reviens du Japon. Cette cuisine entièrement vouée à l’expression des produits me parle beaucoup. C’est direct, ça va droit au but. Quand je pars à l’étranger, je goûte tout ce que je trouve, je suis curieux de tout (…) Bien sûr, ma cuisine s’en trouve marquée sur certains aspects nous dit Nicolas Masse. Et pour cause, sa carte marie de façon subtile non seulement les produits de la terre et de la mer mais aussi saveurs de nos régions et du monde. Nous salivons à la lecture des recettes proposées dans ce beau-livre : Ris de veau braisé aux truffes et châtaignes, huitres Gillardeau granité au vinaigre de gingembre, maki de pigeon de Mr Le Guen girolles et amandes fraiches consommé fumé, Capuccino d’asperges vertes gelée chaude et cromesquis de foie gras… A noter que les recettes du chef sont données avec une série de consignes et l’accord en vin. Un livre qui nous rappelle aux bonnes choses avec simplicité. Les textes de Jean-Patrick Ménard et les photos de Matthieu Cellard permettent de révéler cet écrin de saveurs et de beautés regroupés en un lieu unique. Un superbe ouvrage.

Nicolas Masse/Jean-Patrick Ménard/Matthieu Cellard – Retour aux sources – La cuisine de Nicolas Masse aux sources de Caudalie – Glénat – 2011 – 39 euros

 

Bernard Bach cultive la discrétion. Chef doublement étoilé, son parcours s’est forgé dans la durée. Des fourneaux familiaux, alors qu’il n’est qu’adolescent, il passe aux cuisines d’Alain Letort à Cahors. Il entre ensuite chez un étoilé parisien, Chez les anges où il apprend la rigueur. Il continue à sillonner les routes en quête de découvertes culinaires passant de Strasbourg à Cannes. Il travaille aussi chez Trama à Puymirol avant de faire sa première véritable halte à Porto Vecchio où il prend les rênes des cuisines du Belvédère en 1995. Deux ans plus tard il se voit récompensé par sa première étoile. Une consécration qui le pousse peut-être à revenir aux sources, dans son sud-ouest natal, pour prendre la destinée du Puits St-Jacques, restaurant étoilé de Pujaudran dans le Gers. Nous sommes en 1999 et il confirme dès l’année suivante cette étoile. Il en gagnera une deuxième moins de dix ans plus tard. Le Puits St-Jacques est un peu une histoire de famille puisque le père cultive les légumes qui agrémenteront les plats de son fils : fleurs de courgettes, racines de persil, butternut, pois gourmand… Cuisine qui hume bon le Gers et ses produits traditionnels – il n’hésite pas par exemple à cuisiner son pigeon avec le fameux floc de Gascogne – mais ne s’y enferme pas pour autant. La cuisine de Bach se conjugue au pluriel comme l’atteste les plats qui composent Les rendez-vous gourmands du Gers : Carpaccio de pied de cochon tiède aux fruits secs vinaigrette d’oignons rouges, Rouelles de homard breton aux aubergines miellées vinaigre d’agrumes confits sa pince panée coco curry, Rougets poêlés en croûte de chapelure japonaise beurre d’orange et gingembre rose saumuré, Poitrine de pigeon rôti à l’os sa cuisse braisée au floc de Gascogne ravioles croustillantes de blettes et pied de cochon… Ce recueil de recettes s’impose par la volonté pédagogique du chef qui délivre ses techniques d’exécution et de dressage ainsi que son accord met-vin. Livre qui respire l’authenticité et la mise en avant du produit, il ne peut être qu’une mise en bouche pour nous inviter à découvrir les chemins sinueux du Gers où une tablée nous attend pour une descente dans l’univers pluriel de Bernard Bach. Un ouvrage qui marquera les esprits et donne incontestablement l’envie de reproduire modestement les recettes du chef. Une belle réussite !

Bernard Bach – Les rendez-vous gourmands du Gers – 2011 – 35 euros

 

William S. Merwin joue avec le temps. Celui des saisons, celui de l’écoute et des partages. Ce temps où il n’y a finalement pas de temps mais où toutes les choses prennent une valeur plus que symbolique car juchées au cœur de la vie. Une vie faite de ces petits moments sensibles qui peuvent nous apparaitre sans importance au premier abord et qui forgent pourtant toute la sève des rapports humains. Le poète américain, né à New York en 1927, nous amène, dans Les dernières vendanges de Merle, sur les pas d’un hôtelier négociant en vin, Merle de son nom. L’homme est âgé, il a pour lui la connaissance, le fameux savoir des gens de terroir attachés à la terre. Il aide ainsi le curé du village à soigner une terrible maladie de peau qui le triture littéralement en l’accompagnant vers des sources guérisseuses. Par cela il transmet plus que sa connaissance de la terre, il confie les ultimes secrets d’une vie et d’une époque transcrite dans de vieux livres poussiéreux qui s’échangent tels des manuscrits sacrés. Une mémoire qui se préserve avec fragilité et dont des pans entiers tombent dans les affres de l’oubli. La vie de Merle suit celle des hommes de la terre, rythmée par les saisons qui s’égrènent. Pour autant il ne perd pas de vue les temps nouveaux. Il n’est pas que l’homme du passé ancré dans ses valeurs, il travaille aussi à l’avenir. Un avenir qui passe par le réaménagement de l’hôtel confié à sa fille et à son gendre, mais aussi et surtout par la recherche d’un successeur à son activité. Le vieil homme septuagénaire sent que les chemins qu’il sillonne tous les ans pour honorer ses commandes de vin de Cahors deviendront par la force du temps des trajets insurmontables. Il lui faut donc transmettre plus que son activité, son savoir. C’est en partie cela qui se lit au fil du récit de William S. Merwin.
Un roman écrit avec la patine du temps, qui fleure l’encaustique, le parfum des feuilles mortes en automne, le blé fraîchement coupé. Un roman sur la vie écrit avec simplicité sans luxe d’hyperboles mais avec cet amour pour l’observation d’un temps qui se meurt. Une lecture qui (r)éveille nos souvenirs d’antan, sans pour autant virer dans le tout nostalgique. Un grand moment de poésie et de vie.

Extrait :

« Ils s’immobilisèrent à l’entrée du hangar d’embouteillage de Merle, et M. Bright contempla le toit de la grange, les tuiles, les nids d’hirondelles, les monceaux de vieux appareils de vinifica­tion, de barriques, de pièces de charrettes et de harnais alignés aux murs. Ils se baissèrent pour éviter le linteau bas et pénétrèrent dans la cave. Merle tira sur la ficelle pour allumer l’ampoule et ils pro­gressèrent entre le mur de pierre et la rangée de tonnes, tout à leur grave occupation de tâteurs de vins. En plus du verre au pied brisé retourné sur une barrique que Merle utilisait pour lui-même, le rin­çant chaque fois au robinet près de la porte, il avait trouvé un verre de cuisine pour M. Bright, en avait évacué les toiles d’araignées avec une vivacité experte, rejetant l’eau sur la dalle de ciment et séchant le verre avec un torchon qui avait élu résidence à un clou planté dans le mortier. Ils se lancèrent dans leurs comparaisons, récapitula­tions historiques des crus ou millésimes appréciés de Merle. C’était un rituel auquel ils s’étaient maintes fois livrés dans le passé et, en dehors des particularités que Merle avait à rapporter sur chaque vin, le tout se déroulait sans beaucoup de paroles. M. Bright prenait le verre à moitié plein de la main de Merle, faisait tourner le vin dans le verre pour voir monter son ménisque aux parois, le humait, en sirotait une lampée, et restait un moment la tête en arrière comme un oiseau buvant, souriait, disait « Oui » puis un mot de compliment mais qui n’engageait pas, prenait peut-être un autre gorgeon, rendait le verre à Merle qui jetait le reste, le rinçait et passait au suivant. En une demi-heure, les décisions furent prises, la commande passée, les accords de livraison conclus, et Merle referma son cahier de com­mande. M. Bright jeta un dernier coup d’oeil circulaire dans la cave et ils se courbèrent pour ressurgir dans la lumière estivale où tout était changé, leurs voix, leur façon de parler et l’expression de leur visage. »

William S. Merwin – Les dernières vendanges de Merle – Fanlac – 2011 – 19 euros

 

Polpette a été cuistot dans l’armée avant de chercher un nouvel employeur. Mais la ville n’est pas pour lui, il le sait bien, trop dense, trop peu en harmonie avec sa vision des choses. Alors, il décide de prendre la route pour devenir cuisinier itinérant. Le succès n’étant pas au rendez-vous, il travaille dans des bouges sans âmes avant de se résigner à repartir sur les chemins. C’est au détour de l’un d’entre eux, et alors qu’il pleut des cordes, que le jeune cuisinier tombe par accident sur Le Coq Vert. Ce territoire étrange semble protégé du monde extérieur. Même les nuages n’y ont pas droit de cité. Véritable îlot de paix, dominé par une tour majestueuse à flanc de montagne, Le Coq vert est dirigé par le comte Fausto, étrange monarque juvénile qui a gardé un pied dans l’enfance. Assisté de Byriani, son majordome, le comte coule des jours paisibles dans son royaume de poche, jusqu’au jour où le jeune comte apprend de son ancien précepteur, Monsieur Saucicette, l’arrivée de son père. Branlebas de combat au Coq vert. Le comte réunit tous ses hôtes et employés pour les prévenir de cette arrivée imminente. Il faut que le monarque, guerrier valeureux, puisse être accueilli de la meilleure des manières. Mais pour Fausto, qui n’a pas vu son père depuis ses sept ans, cette arrivée semble faire remonter à la surface de vieux souvenirs. Le passé du jeune homme revient à la surface avec son lot de questionnements : Sera-t-il à la hauteur de son père ? Celui-ci aura-t-il une bonne impression de lui ? Le Coq Vert aura-t-il était bien géré à ses yeux ? Autant de questions qui taraudent Fausto au point de faire naitre en lui de sérieuses angoisses. Angoisses renforcées par le souvenir de ses cousins arrivistes prêts à se glisser dans la moindre brèche pour prendre le pouvoir.

Premier volet d’une série alléchante, Le Viandier de Polpette est égrainé tout au long du récit de recettes et de cocktails à reproduire. Pas de la grande cuisine, non, mais des plats tout droit sortis des vieux grimoires de nos grands-mères et dont le but avoué est de réveiller nos papilles : œufs à l’assassin, côte de bœuf et gratin de macaronis, fabada de Péréro, beignets d’épinard et d’agneau… J’avoue avoir salivé à la lecture du Viander de Polpette, signe que les auteurs, Olivier Milhaud et Julien Neel arrivent à nous immergé dans le récit. Un album qui regorge d’humour, d’émotion et de passion. Nous attendons la suite avec une impatience à peine dissimulée…

Olivier Milhaud & Julien Neel – Le Viandier de Polpette vol. 1 : L’ail des ours – Gallimard BD – 2011 – 18 euros