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La tête de mort venue de Suède de Daria Schmitt (Dupuis)



Parfois l’homme perd la tête, englué dans les travers d’une société qui ne lui laisse plus le temps de s’adapter ou de composer avec le réel, parfois c’est sa face cachée, cette arrière-boutique négligée de l’étrange ou de l’ailleurs, univers obscur ou abscons, qui révèle sa propension à illuminer la pensée… C’est un peu de cela dont il est question dans La tête de mort venue de Suède…

Lorsqu’il meurt au milieu du dix-septième siècle, son aura est déjà au plus haut. De par son œuvre publiée en philosophie et en sciences, et de par les polémiques ou les controverses dont elle fut l’objet dans une société dominée par une Eglise omnipotente qui s’oppose encore fermement aux démonstrations développées par l’héliocentrisme. René Descartes publiera de son vivant des travaux fondateurs pour le renouveau de la philosophie. Le Discours de la méthode ou Les méditations métaphysiques font parties de ses écrits essentiels, transmis et appris par les générations suivantes sans discontinuer jusqu’à nos jours. Pour autant, peu d’entre nous connaissent l’histoire de l’homme, du philosophe et plus particulièrement de sa fin tragique, encore suspecte (fût-il empoisonné à l’arsenic ?) et de sa dépouille, trimballée à gauche et à droite depuis la Suède où Descartes rendit l’âme, jusqu’à Paris où ses restes furent délogés de plusieurs lieux avant que sa tête n’atterrisse au musée de l’Homme, où elle est encore conservée.

Passé un préambule onirique qui se veut une ouverture sur un monde étrange, le récit de Daria Schmitt s’arrête sur la galerie d’Anatomie comparée du Jardin des Plantes à Paris. Là, chaque nuit, un crâne s’éveille et déambule dans les travées, cherchant à lever les zones d’ombres qui sillonnent son passé, et à requestionner les théories aujourd’hui – trois siècles plus tard – contestées ou nuancées. Ces doutes et ces interrogations, qui s’alimentent de fils décousus, sont partagées avec les squelettes d’animaux exposés qui l’entourent dans ce lieu fermé, qui vont l’aider dans sa démarche.

Au travers d’une proposition graphique d’une grande maîtrise, faite de planches qui empruntent ou flirtent avec la gravure, Daria Schmitt poursuit la construction d’une œuvre qui s’immiscent et louvoie avec l’étrange. Après Le bestiaire du crépuscule qui revisitait L’Étrange Maison haute dans la brume/The Strange High House in the Mist de Lovecraft et après Ornithomaniacs, qui, lui, offrait une relecture très personnelle d’Alice au pays des merveilles et du Magicien d’Oz, la dessinatrice pose un nouveau jalon à son œuvre. Les ingrédients qu’elle cultive depuis ses premiers récits, l’étrange, l’onirisme, les questionnements sur le sens de (certaines) choses qui percutent la vie (ou la mort) de ses personnages et cette place laissée aux animaux, êtres pensants, qui dialoguent avec les humains qui les entourent, se retrouvent déclinés dans La tête de mort venue de Suède, dont le titre à lui seul peut se lire comme une invitation à tourner les pages. Les dialogues savoureux composés par l’autrice et la capacité à faire « vivre » la narration, conjugué à la richesse foisonnante de son trait, font de ce nouveau titre un album incontournable de cette rentrée littéraire. Un titre qui prend place dans la prestigieuse collection Aire Libre, décliné dans trois écrins distincts, qui saura ravir le lecteur qui suit Daria Schmitt depuis ses débuts ou celui qui la découvre au travers de ce projet.

Daria Schmitt – La tête de mort venue de Suède – Dupuis