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Le coin des vieilles feuilles : ‘Incidents’ de Lorenzo Mattotti



Parfois, en cherchant une BD dans nos étagères il nous arrive de mettre la main sur un récit que l’on avait un peu oublié mais qui nous avait procuré par mal de plaisir à sa lecture. Parfois encore on retrouve par accident, chez un soldeur, sur un marché ou ailleurs, un récit rare ou méconnu d’un auteur que l’on apprécie et la curiosité nous pousse à l’acheter. Le coin des vieilles feuilles, votre nouveau rendez-vous du lundi mettra en avant ce type de récit. Avec pas mal de surprises à la clé !

Le récit débute par une définition, celle du mot Incident tel que le propose le Larousse de 1979. Puis la trame s’amorce. L’univers d’Incidents met en scène des personnages un peu perdus qui vivent en marge d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas vraiment.

Première scène : Cicilia, une jeune femme débarque dans un appartement aux murs défraichis où des tas de vaisselles, de bouteilles et d’objets hétéroclites s’amoncellent sans trouver véritablement leur place dans un espace bien trop petit pour pouvoir être rangé et nettoyé. Le jeune homme qui lui ouvre, Lucio, semble planer très loin. Ce n’est pas lui qu’est venu rencontrer Cicilia mais Robby qui débarque bientôt. Les deux quittent alors très vite les lieux.

Seconde scène : Dans la rue, près du kiosque d’un bouquiniste, des hommes parlent des formes généreuses de jeunes femmes photographiées dans des magazines masculins. Lucio, lui, observe avec attention un livre qu’il cherche depuis longtemps, l’introuvable L’Intersection d’Einstein, un roman de science-fiction écrit par Samuel Delany qui a remporté en 1967 le réputé prix Nebula. Il tente de le voler mais se fait surprendre et prend la poudre d’escampette en traversant précipitamment la rue juste devant une voiture. De l’autre côté il retrouve par hasard Arturo, un ami qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Arturo lui demande de l’aider dans pour effectuer une petite livraison.

Troisième scène : Arrivés dans un appartement luxueux de la ville Arturo et Lucio déposent ce qu’ils étaient venus livrer. Lucio aperçoit Robby dans une autre partie de l’appartement. Une scène qui le dépasse se produit alors ; ses deux amis sortent des flingues et commencent à échanger des coups de feu devant les occupants des lieux.

En trois scènes et dix planches Lorenzo Mattotti pose le cadre et l’enjeu d’Incidents. Dans un trait subtil au noir et blanc il donne à voir tout un lot de personnages qui vivent dans une autre société, celle de la nuit, des bars délaissés, des zones franches désertes dans lesquelles des carcasses de voitures d’un autre temps s’amoncellent. Ils y survivent en travaillant pour une pègre qui les tient avec quelques billets et l’idée que chacun pourra en gagner d’autres. Mais ces paumés déphasés n’échappent pas ou peu à la misère dans laquelle ils naviguent depuis un certain temps.

Incidents est le second récit publié en France de Lorenzo Mattotti. Dans un noir et blanc d’une grande expressivité, il mêle les cadrages, les plans, les rythmes. S’il assume l’influence de Munoz (La vie n’est pas une bande dessinée, baby, tiré d’Alack Sinner), de Pratt (clin d’œil dans un tableau accroché au mur), de Breccia, il offre un récit d’une parfaite maîtrise narrative jouant avec des personnages secondaires qui au final possède une influence forte sur le récit (Igor, les Sidra, le vieil homme après la fusillade ou la vieille femme dans le bistrot avec Cicilia). Second récit publié en France par Mattotti qui faisait alors partie du groupe Valvoline (Igort, Jerry Kramzky, Giorgio Carpinteri, Brolli et Marcello Jori), entité engagée dans un renouveau esthétique, Incidents donne à voir tous les germes de ce que sera l’œuvre future du dessinateur italien. Un récit majeur à redécouvrir avant de poursuivre par Feux.

Lorenzo Mattotti – Incidents – Artefact – 1984