- Article publié sur MaXoE.com -


Les contes des 1001 nuits, la relecture possédée de Toppi…



Adapter les Mille et une nuits sans évoquer ses contes les plus populaires (Aladin, ou la Lampe merveilleuse, Ali Baba et les Quarante Voleurs, Sinbad le Marin, Le Conte du Tailleur, du Bossu, du Juif, de l’Intendant et du Chrétien…) tel est le défi que se lança Toppi à la fin des années 70. Durant plus de trente ans le dessinateur proposa d’illustrer des contes de son choix dans un style total et sans complaisance. Cela donna lieu en France à Sharaz-De édité par les éditions Mosquito qui nous proposent pour la première fois cette année l’intégrale  de ces contes. Un incontournable…

sharaz-de1 sharaz-de-int-couv

Cette l’histoire peu ordinaire aurait pu se dérouler quelque part en Orient, là où les royaumes s’étendent à perte de vue et où les Princes font parfois montre d’une cruauté sans nom ou d’une clémence toute relative… Dans une des régions qui s’élèvent autour du Gowandab deux frères jouissaient chacun de l’administration d’un royaume délégué par leur père âgé. Un jour Shazam’an,  voulu rendre visite à son frère Shahriyar. Il décida de partir précipitamment seul à cheval. Mais dans son empressement il oublia le poignard que lui avait offert la Reine. Il décida de revenir en son palais pour récupérer l’objet et se trouva devant l’adultère de sa femme. Le lendemain l’amant inconscient et la Reine furent raccourcis et leurs têtes exposées à la vue de tous. Malgré cette déconvenue Shazam’an décida tout de même de rendre visite à son frère. Un jour qu’il se promenait dans un coin du vaste jardin du palais de Shahriyar il surpris la Reine en compagnie d’un serviteur de son frère Roi.

Celui-ci imposa un châtiment identique à celui qu’avait ordonné son frère quelques jours auparavant. Il décréta même, pour renforcer la sentence, que, dès lors et chaque nuit, une fille du royaume partage sa couche et soit exécutée dès l’aube. Le royaume se plongea dès lors dans une tristesse sans nom. Devant cette lourde sentence, Sharaz-De, la fille d’un des vassaux du Roi décida de se sacrifier et se rendit au palais de Shahriyar. Elle partagea la nuit avec le Roi et dans l’attente du petit jour, fatal pour elle, proposa au suzerain de lui conter de superbes histoires. La première évoquait le destin tragique du roi Suduqwa-al-Zaman, respecté de tous, et de son aigle fidèle. Le roi décida un jour d’organiser une grande chasse au gibier à travers le royaume. Il fit venir à lui les plus grands adeptes de cette pratique et leur indiqua sobrement que « quiconque laissera échapper une proie endurera ma colère ». Peu de temps après le Roi en personne laissa échapper une gazelle aux cornes d’or. Pris à son propre piège Suduqwa-al-Zaman se résigna à partir à la recherche de l’animal en compagnie de son aigle. Il s’aventura dans les zones les plus reculées et les plus désertiques de son royaume. Un jour, assoiffé, il voulut boire l’eau d’un ravin mais son aigle tenta contre toute attente de l’en dissuader. Pris d’une fureur sans nom le Roi frappa son ami de toujours de son épée le laissant agoniser. L’aigle eu le temps d’indiquer à son maitre de suivre le ru qui alimentait en eau le ravin ce que fit Suduqwa-al-Zaman. Peu de temps après il constata que l’eau qui s’écoulait n’était autre que de la bave de dragon et qu’il n’aurait pas survécu sans les recommandations de  son aigle. Son destin fut changé radicalement et le Roi décida d’élever un mausolée en la mémoire de son fidèle compagnon… Ainsi s’acheva la première histoire de Sharaz-De. Devant les talents de conteuse de sa compagne d’un soir Shahriyar décida de sursoir à son exécution et lui demanda la nuit suivante de lui raconter une nouvelle histoire… Et il en fut ainsi durant Mille et une nuits…

Toppi excelle dans la mise en place du récit-cadre. A partir des histoires racontées par Sharaz-De pour sauver chaque nuit sa vie au petit matin, s’emboitent d’autres récits, qui racontent parfois eux-mêmes des histoires singulières. Ce faisant la lecture du récit principal, celui de la belle Sharaz-De, se couvre d’un manteau soyeux qui happe le lecteur tout comme il captive le roi Shahriyar et repousse l’inéluctable sentence. La belle conteuse parvient ainsi non seulement à préserver sa vie une nuit de plus mais apporte à son Roi les armes de la clémence et par là-même de son salut. Salut qui préserve de fait les autres filles du royaume d’une mort certaine. Toppi place donc Sharaz-De au cœur du récit. A l’inverse de cette tête de pierre qui parle dans le conte Le trésor de Yazid, la conteuse possède une âme, une chaleur et la possibilité de changer l’histoire. Son ascendant sur le Roi Shahrizar devint ainsi, au fil des récits qu’elle lui rapporte, de plus en plus prégnant au point de créer cette addiction qui durera peut-être bien plus que les Mille et une nuits de la légende… D’un point de vue graphique Toppi délivre sur Sharaz-De ce qui pourrait être considéré comme le summum expressif de son œuvre. Le texte pourrait être considéré comme le support qui assure le lien entre les dessins qui racontent tous leur propre histoire. L’échelle utilisée, parfois la pleine page, offre une densité qui permet au lecteur d’orienter sa lecture selon sa préférence, ce qui attire en lui la curiosité et l’envie de parcourir encore plus loin chaque dessin pour en révéler tous les détails. Le trait se veut parfois chargé pour dépeindre les ombres, les couches de tissus ou de peau. Il se veut surtout porté vers la dynamique de l’histoire qu’il illustre, offrant également des poses graphiques par un jeu d’aérations posées çà et là. Au final il faut peut-être retenir l’homogénéité de l’ensemble, la capacité de l’auteur à s’approprier l’œuvre originale pour nous en donner sa propre lecture et susciter chez nous de nouveaux rêves… C’est ce qu’il advient si on se laisse porter par le rythme de l’œuvre et qu’on accepte de lire une histoire chaque jour pour nous placer dans cette attente bienheureuse…

Toppi – Sharaz-De (intégrale) – Mosquito – 2013 – 30 euros