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Les fantômes de Bilal à travers le Louvre…



Il faut parfois accepter de s’arrêter un instant pour mieux observer ce qui se passe autour de nous. Plongé au cœur du Louvre Enki Bilal s’enveloppe de l’histoire des œuvres qui l’appellent. Cela donne un album-trace comme l’auteur en délivre depuis quelques années, un guide à l’usage de ceux qui, plein d’ambitions, voudraient s’immiscer dans ce no man’s land parcouru de spectres…

 

Le serpent de lumière traverse la nuit pour en rompre la fragile unité. Echappée d’un cadre damasquiné d’or ou d’argent, d’une tapisserie venue d’un autre âge ou d’une sculpture défiant les lois de la verticalité et taquinant la nuit sombre, la raie de lueur semble souveraine dans l’espace qui se présente à elle. Les derniers passants dans leurs déambulations du soir semblent ne pas percevoir ce qui se trame une fois les lourdes portes fermées. Nous sommes au Louvre. Lieu de vie par le grouillement des touristes, des observateurs curieux, des historiens de l’art ou du passionné tout le long d’une plage horaire étendue au possible et lieu de farandole des spectres une fois le brouhaha des murmures et des pas repoussé à l’extérieur. Le Louvre pourrait très bien ne pas se résumer à sa fonction première de conservation des Arts mais se délecterait de l’âme de ceux qui ont œuvrés à la réalisation des toiles ou moulures accrochées aux murs ou posées çà et là de façon raisonnée dans de vastes salles thématiques.

Risquer d’observer la nuit pour tenter de comprendre la portée du message délivré par Enki Bilal. Le dessinateur, auteur, peintre, photographe, peu importe la casquette, revisite les histoires qui se cachent derrière les œuvres depuis si longtemps affichées dans des salles trop vastes pour saisir l’unicité de chacune d’elles, noyées qu’elles sont par le flot de création qui se détache de l’ensemble. Pourtant à bien y regarder nous pourrions bien croiser au détour d’une galerie, d’une ombre tapie dans le recoin d’une salle ou dans des escaliers fuyants, une femme fragile, une autre monumentale, un officier du Reich saisi de questionnements, des jumeaux kleptomanes ou même un légionnaire romain. Ces personnages hétéroclites composent l’âme des œuvres exposées dans ce lieu improbable. Ils participent à faire naître le mythe attaché à chacune, relevant les faits qui ont présidés à leur enfantement.

Bilal a parcouru le vaste musée à la recherche de ces fantômes d’un soir. Il s’est arrêté là, et puis là, sans raison apparente, ou sinon porté par l’imaginaire qui parcourt l’esprit de l’auteur et préside à la naissance de la trame de cet album. De sa traversée du Louvre, Bilal tirera près de quatre cents photos dont il explorera le potentiel symbolique. Il se documentera, tirera l’histoire de la création de chacun des vingt-deux œuvres qu’il décide de conserver et de révéler au lecteur : Dans ce livre, ils sont vingt-deux fantômes. Pourquoi vingt-deux, et pas un de plus ou un de moins, et pourquoi, surtout, ceux-là et pas d’autres, beaucoup d’autres possibles ? Pas de réponse… Ou alors, c’est peut-être ces vingt-deux-là qui ont fait signe, qui ont voulu plus que les autres, qui ont joués des coudes, se sont imposés, faisant davantage corps avec leur œuvre, leur espace. L’ambition chez les fantômes existerait donc, nous dit l’auteur. Et effectivement si les spectres qui se croisent dans les allées du musée pouvaient inférer sur notre regard, notre façon de percevoir l’espace, le temps ou tout simplement les images qui se tissent dans nos esprits, alors peut-être que l’œuvre exposée pourrait poursuivre sa vie mouvante et effrénée. Dans cet antre de l’histoire et du savoir ou bien dans des ailleurs à construire…

Enki Bilal – Les fantômes du Louvre – Futuropolis – 2012 – 25 euros