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Match Retour, second volet de la série policière rugbystique



Après Match Aller, présenté hier, voici venu le second opus de cette série consacrée à l’équipe de Volmeneur et à ses meurtres de l’Olympe. Volet qui prend aussi un virage social que nous vous laissons découvrir. Suspense en terre de la République… Mélange fabuleux de polar, de tirades désopilantes dans le milieu du rugby et de poésie…

Lorsque Julien Capron entreprend l’écriture de ce polar rugbystique, il ignore que le projet initial devait se développer et se développer encore pour donner finalement forme à un beau gros roman qu’il a choisi de scinder en deux volets. Match Aller est sorti chez Flammarion en août 2009. Il est aujourd’hui proposé en poche chez J’ai Lu (voir la chronique de ce livre publiée hier sur Maxoe). Match Retour, comme son nom l’indique, poursuit l’histoire de l’équipe de Volmeneur, les Outrenoirs, sur les matches retour du championnat de la République, terre imaginaire dans laquelle se déroulent de vrais crimes construits autour des divinités de l’Olympe.

Match aller avait laissé croire que le mystère de ces crimes était résolu. Pourtant, à la lecture des premières pages de ce second volet, les affaires reprennent pour Fénimore Garamande et Casilde Binasse. Un nouveau crime est commis remettant en cause les efforts et les heures d’enquête menées jusqu’alors. C’est pourquoi il faut bien se résoudre à tout revoir jusque dans les méthodes d’approches : Je veux qu’on récapitule les bio, les habitudes, les passions, les manies de chaque victime. On se laisse à chaque fois hypnotiser par le dernier cadavre et on ne va pas au bout de l’enquête sur les précédents meurtres. On ne sait pas d’où peut venir la révélation. Alors il faut qu’on réexamine l’ensemble.  L’enquête prend alors des tournures insoupçonnées, tant et si bien que l’on se pose la question de la présence d’un copycat, un copieur de crime. Si l’enquête, comme dans le premier volet occupe une large part du livre, en alternance avec les péripéties de l’équipe de rugby locale – quoiqu’au fur et à mesure que le récit avance, nous nous rendons compte que tout est lié, faisant d’un livre à deux voix, un tout terrifiant – Match Retour s’impose pour Julien Capron comme un véritable média capable d’analyser, de crier et de révéler avec passion ce qui le dérange dans notre propre société. Le roman noir, le polar a toujours possédé une base sociale. En allant rendre visite aux démunis, aux marginaux, à tous ceux qui se trouvent tout à coup projetés en dehors d’un système si sympathiquement lénifiant, en naviguant dans des eaux troubles, il s’est imposé comme un moyen de crier le monde malade. Malade de ses travers, qui ignore tout – ou presque – au profit d’une poudre aux yeux bien rassurante imposée en direct live.

Julien Capron, avec ce second volet s’impose comme un véritable auteur social, posant ça et là, au détour d’une page et par l’intermédiaire de ses personnages, un regard irrité et interrogateur sur notre société : Pourtant, ces personnages luttent bel et bien pour leur justice et leur sens. Ils sont plongés dans des vertiges qui ressemblent aux nôtres, dans une société qui n’a pas moins de pauvres, pas moins de boussoles perdues. Ils se demandent ce que c’est d‘aimer, ils agissent selon et ils en paient les conséquences. Il leur arrive de déranger les philosophes, les poètes. Ils cherchent leur espoir, cette voix qui répond aux pièges tendus par la planète et par les camarades de sort, nous dit l’auteur dans une présentation de l’ouvrage écrite pour le blog des boutiques Cultura, qui ont porté Julien Capron lors de la sortie de Match Aller en le désignant comme auteur à suivre.

La portée sociale de ce diptyque (triptyque si l’on se réfère à Capron qui inclut dans ce cycle son premier roman Amende honorable), se trouve ainsi exprimée par les deux voix du roman. Tout d’abord ce sont les joueurs de l’équipe de Volmeneur qui laissent exprimer leur désaccord sur le nouveau système de primes proposé par Jérémie Chassesplain, le dirigeant du club, pour essayer de faire se révolter les athlètes qu’il considère comme « endormis » dans leurs certitudes. Les joueurs de l’équipe pro vont ainsi se mettre en grève, compromettant une partie de leur championnat, de leur carrière afin de ne plus être considérés comme de simples pions au service des actionnaires. C’est aussi la révulsion qui envahit Fénimore, l’enquêteur, anti-héro proclamé, lorsqu’il découvre, lors d’une descente sur les quais, le sort réservé à une dizaine de malheureux, passagers clandestins morts, échappant ainsi par la plus terrible des manière, à leur sort d’esclaves travaillants pour des réseaux criminels qui les exploitent jusqu’à la moelle : Des esclaves. On avait fait des guerres pour qu’il n’y ait plus d’esclaves. On avait élevé des statues aux orateurs qui avaient péroré l’horreur du système. Ce qu’ils avaient obtenu, en définitive, c’était que les putes et les clandés meurent sans déranger de leur agonie conscience qui vive. Les moins que rien de l’Antiquité étaient du moins les membres malheureux d’un ordre, un ordre débile et monstrueux, certes, mais un ordre assez public pour qu’on pût le combattre, un ordre qu’on avait cru abolir, comme on avait cru proclamer que le fait d’être humain était une base suffisante pour faire partie de l’humanité. (…) L’Enquêteur Provincial Fénimore Garamande avait devant lui sa réponse tracée. Son devoir lui montait à la gorge. Il ne laisserait pas ces hommes n’avoir rien été. Ces corps devaient crier. Pourtant, il avait, aussi, sa mission précise dans l’élucidation des meurtres de l’Olympe. Il se reprit. Retourner au travail. En se promettant que les pas qui l’éloignaient de cette scène étaient sa façon à lui d’y faire face.

Match Retour s’impose ainsi comme un roman multi-facettes, inscrit dans notre temps, qui pose des questions, mais qui ne se morfond pas pour autant dans des schémas réducteurs. Il distille, par un fabuleux mélange d’humour, de gravité, de poésie et d’humanité, un univers sensible qui touche le lecteur. Une belle réussite !

Julien Capron – Match retour – Editions Flammarion (à paraître le 26 janvier) – 22 euros

 

Et aussi…

Si Julien Capron avec sa série Match Aller, Match Retour mêle admirablement rugby et polar, il n’a pas pour autant la primeur de l’exercice. Avant lui, en 1999, Pascal Dessaint avait, dans Du bruit sous le silence (Rivages Noir) ouvert la voie. Son roman, qui prend Toulouse et le Racing Club toulousain pour cadre, nous mène, aux côtés d’Elie Verlande, commissaire principal né à Dunkerque, comme Dessaint, sur les pistes du meurtrier de Maurice Tamboréro, demi de mêlée star de la meilleure équipe du moment. Aidé de Benoît Terrancle, policier du cru, ancien rugbyman qui lui apprendra tout des subtilités d’un sport qu’il ignore, le commissaire va naviguer dans un milieu où la solidarité s’affiche dans et en dehors du terrain.

Un roman d’une profondeur rare, roman noir autant que policier, Du bruit sous le silence se délecte d’un bout à l’autre. L’auteur du récent Les Derniers Jours d’un homme a reçu le Grand Prix de littérature policière en 2000 pour ce roman dont nous vous conseillons la lecture !

Pascal Dessaint – Du bruit sous le silence – Rivages Noir – 1999 – 9 euros