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MaXoE Festival 2022 : La Sélection Livres – Romans



La Sélection Livres du GPL 2022 se veut résolument éclectique et cela n’échappe pas à la catégorie des Romans que nous vous présentons ici. On commence avec la communauté des Aquatiques du Zambuena de la journaliste et réalisatrice Osvalde Lewat, et les révolutions intimes de son héroïne au coeur d’une socicété Africaine très normative. Nous allons ensuite en Haïti avec le nouveau roman d’Emmelie Prophète où il est là aussi question de s’extraire d’une société quasi inexistante, et où la survie est le seul échappatoire. Enfin, c’est à Paris que l’on termine notre périple avec le premier roman de Benjamin Randow qui

Place aux ouvrages sélectionnés dans la Catégorie Romans pour le Grand Prix des Lecteurs de ce 9ème MaXoE Festival !

 

‘Les Aquatiques’ dE Osvalde Lewat

 

Grand Prix Panafricain de littérature, le premier roman de l’écrivaine franco-camerounaise Osvalde Lewat sorti en août 2021 aux éditions Les escales, dépeint la vie contrariée et souvent tourmentée d’une jeune femme dans un pays d’Afrique fictif où coutumes, modernité, politique et injustice s’entremêlent.

Une émancipation très contemporaine dans une société qui l’est nettement moins ; l’iepienne, journaliste et réalisatrice de films documentaires multiprimés signe avec ‘Les Aquatiques‘ un roman fort et ciselé, où minorités et libres penseurs doivent faire face à l’adversité. On retrouve dans ce premier ouvrage ce qui a toujours inspiré Osvalde Lewat, depuis les Amérindiens du Canada en passant par les violences faites aux femmes au Kivu en République démocratique du Congo.

Après avoir mis en image et photographié les nombreuses facettes du Congo, l’écrivaine pose aujourd’hui sur papier ses engagements et confirme sa volonté de toujours penser à contre-courant. La communauté des Aquatiques nous parle, le Zambuena nous parait familier, et les vies de Katmé et Samy nous semblent si proches. Osvalde Lewat offre un regard intransigeant et sans compromis qui n’occulte ni la violence et le tragique de cette société, ni la légèreté et l’humour parfois nécessaires pour lui survivre.

Extrait : Je préférais emprunter le boulevard du Trente-Avril, chaos permanent qui rallongeait mon chemin, plutôt que le trajet le plus logique, le plus court, qui menait inévitablement devant le stade de football, les boutiques, les aires de jeux, la maison de mon enfance. Les voitures roulaient à contresens, des conducteurs, las d’attendre, dansaient torse nu sur la chaussée, le capot, les taxis klaxonnaient, écoutaient bruyamment les airs à la mode sur l’autoradio, des vendeurs ambulants, front collé aux vitres, proposaient toutes sortes d’aliments, d’objets, des motos slalomaient entre les carrosseries. L’atelier de Samy où je me rendais, entrepôt d’une ancienne laverie de voitures, était situé à la périphérie de la Cité des Enseignants. Le quartier où Sennke et moi avions vécu avec Madeleine. Je repérai au loin un uniforme d’agent de police. Je déverrouillai le Rav4. Juchée sur le marchepied, la portière sous l’aisselle, je lui fis de grands signes. Une fois à ma hauteur, il pinça la visière de son béret kaki entre le pouce et l’index. « Maman Préfète, Dieu vous bénisse. Vous êtes dans les embouteillages ôôô, pardon seulement. Je vous dégage la route, tout de suite même. »

 

‘Les villages de Dieu’ de Emmelie Prophète

 

Survivre à Port-au-Prince, entre gangs armés jusqu’aux dents et misère omniprésente, c’est ce que tente de faire la jeune Célia, l’héroïne du nouveau roman d’Emmelie Prophète. Sorti aux éditions Mémoire d’encrier l’année dernière, ‘Les villages de Dieu‘ nous transportent en Haïti, au sein de sa capitale en ruine.

Les tremblements de terre successifs et les tremblements politiques à répétition se suivent et forment des strates sous lesquelles les habitants tentent de survivre. Car c’est de survie dont il est question ici, y parvenir par tous les moyens, la prostitution et les réseaux sociaux pour la jeune adolescente qui veut échapper à une vie qu’elle ne considère pas comme en étant une. A elle de (se) trouver ces opportunités dans une société où l’Etat impuissant livre sa population à elle-même. Cette violence endémique des bidonvilles de l’ile caribéenne de laquelle tente de s’extraire Célia, alors qu’autour d’elle la corruption, la drogue et les cadavres gangrènent tout.

Et pourtant, l’inspiration est là, celle portée par des femmes, dont Grand Ma. Et l’amour aussi, mais sans grandes illusions. Emmelie Prophète fait jaillir la lumière pour mieux en faire sortir les démons de l’obscurité ambiante, elle parvient à nous immerger dans la cité, entre espoir et résignation. Celle qui est devenue en début d’année Ministre de la Culture et de la Communication d’Haïti transmet la réalité, brute, sans jamais la dénaturer ni la caricaturer. Un état des lieux qui nous saisit, littéralement.

Extrait : Dehors, le vacarme habituel. Mon corps comptait des traversées imaginaires. Je n’avais que le présent et des histoires sans commencement. Tout était sombre. Mon sommeil sec, juste utile. Je ne me reposais ni ne rêvais. Juste une courte transition entre deux blessures. Cet homme venait depuis cinq jours. Il frappait discrètement. Toujours à la même heure. Dix-huit heures trente. Il était gros, semblait timide, portait une chemise à rayures, comme celles que fabriquait le tailleur de la rue Ficelle. Son pantalon lui arrivait au-dessus des fesses, l’entrejambe trop court, ou son ventre trop gros, l’empêchait de le remonter jusqu’à la ceinture. Ses chaussures avaient des semelles épaisses en caoutchouc. Elles étaient propres, bien lustrées. Il portait les mêmes vêtements chaque fois que je le voyais. Son eau de toilette sentait très fort, restait imprégnée dans le drap et l’oreiller. Je n’avais jamais envie de lui parler. Il souriait quand nos regards se croisaient. Moi pas. Je n’avais jamais encouragé de conversation. Je sentais qu’il voulait bien, lui. Il se déshabillait timidement, lentement, gêné par son physique. Il était en vérité laid. Court sur pattes, son ventre paraissait plus gros quand il enlevait sa chemise. Il flottait un peu dans son slip blanc abîmé par les lavages. Il devait avoir une mère ou une femme obsédée par la lessive, soucieuse des vêtements blancs, comme le fut ma grand-mère…

 

‘Carrousel-des-anges’ de Benjamin Randow

 

C’est un ouvrage que l’on peut qualifier d’érudit et d’élégant que nous offre à découvrir Benjamin Randow avec ‘Carrousel-des-anges‘. Un premier roman sorti en octobre 2021 chez Cohen & Cohen qui se déroule en grande partie à Paris et qui suit la vie de plusieurs personnages sur une soixantaine d’années.

Il y a les rêves d’une autre vie portés par Suzette qui dans le contexte de la fin des années 50, attend l’homme qui pourra l’émanciper. Il y a aussi les ambitions de Charles, dont Edouard est amoureux, mais aussi Rémi, Suzanne, Henri, Cécile, Thierry, Simone, Marcel, Martine, Josyane… Avec beaucoup de lucidité et de tendresse, Benjamin Randow nous fait traverser la vie politique française de la Ve République et celle du monde de l’art, ses salles des ventes, ses collections et vernissages. Le ‘Carrousel-des-anges’ est aussi une balade parisienne avec le square Louvois, la rue de Richelieu, l’hôtel Drouot, l’église Saint-Vincent-de-Paul et la rue d’Hauteville, Notre-Dame (en flammes), le Théâtre des Champs-Elysées mais aussi le château de Chantilly ou encore Rome… A noter que si vous êtes marqué par la scène du livre qui se déroule dans la galerie Pillnitz, cette dernière est inspirée de la galerie Kugel à Paris.

L’Art, l’amour, la politique et de nombreux éléments autobiographiques (la première page du livre et la date du 8 mai 1982 où tout a commencé pour l’auteur), mais aussi des personnes réelles qui ont inspirées des personnages (comme maître Thierry Bardon) et des lieux rendent le récit très réel. L’écriture est fine, délicate et poétique, sans oublier l’humour, très présent. Après la lecture, on entend encore les symphonies de Gustav Mahler et on se souvient du poème ‘En frappant à une porte’ de Victor Hugo ; le ‘roman vrai de la vie réelle’ avec une citation du livre à méditer : ‘Ce qui compte dans la vie, ce n’est pas tant ce que l’on est que ce que l’on paraît être‘.

Hâte de découvrir la suite de la trilogie de la Vie réelle avec le deuxième roman ‘Âmes de cristal’ qui sortira le 07 juillet prochain toujours aux éditions Cohen & Cohen, sans oublier le troisième, ‘Les Nativités’ à suivre ! On notera que le second roman tout comme le premier, affiche une très belle photo en couverture de Wandrille Potez.

Présentation Editeur : Avec « Carrousel-des-Anges », le lecteur suit sur trois générations les destinées entremêlées de personnages de tous milieux et de tous âges, formant ainsi, entre humour et émotion, un portrait subjectif de la société française au cours des soixante dernières années. Roman de la jeunesse, roman d’apprentissage, roman de la maturité, « Carrousel-des-Anges » a également l’ambition d’être un petit Traité de la transmission, de l’amour, de l’art et de l’amour de l’art. En se découvrant à nous, les personnages de ce récit nous révèlent aussi, par petites touches finement esquissées, une part de ce que nous sommes ou souhaiterions être. Ainsi, le lecteur reconnaîtra peut-être quelques épisodes de sa propre expérience au long de cette aventure incompréhensible, merveilleuse, parfois décevante mais toujours surprenante qu’à défaut de mieux nous appelons la Vie.