Voici une autre sélection BD du MaXoE Festival avec de très beaux albums dans la catégorie de la BD Indépendante.

Depuis sa première édition le MaXoE festival soutien la BD indépendante. Car elle cache non seulement de petits bijoux qui ne demandent qu’à bénéficier d’une visibilité accrue, ce que nous soutenons à notre niveau, mais aussi car elle est un véritable exploratoire sur ce que la création à de meilleur, fait de risques esthétiques et de thématiques peu ou pas abordées par ailleurs. Plongée dans l’écrin de la BD indépendante…
Un géant monophthalme enchaîné dans un fourgon-prison de bois tiré par deux chevaux lancés au galop. Une course poursuite engagée par ses compagnons brigands pour le libérer. Le récit concocté par Stanislas Moussé débute sur les chapeaux de roues. La libération de cette force brute ne peut réjouir le monarque local qui engage ses pousse-cailloux pour lui mettre des bâtons dans les pattes et tenter d’éviter qu’il n’assombrisse trop son blason…. Récit muet chiadé et dense, véritable orgie de détails et de rythmes, champs et hors champs, Pleine lune démontre tout le potentiel, l’impertinence salutaire et la folie graphique d’un auteur qui a su construire son univers tout en devenant un fer de lance de sa génération. C’est jouissif et on en redemande !
Stanislas Moussé – Pleine Lune – Le Tripode
A l’instar des jeunes nobles partis découvrir le monde, Elric quitte la cité d’Imrryr pour voyager au-delà des contrées de Melniboné et tenter de comprendre les us et coutumes des jeunes royaumes. Il laisse ainsi derrière lui son cousin Yrkoon qui occupera le trône en son absence et surtout sa bien-aimée Cymoril, plongée dans le chagrin. Rapidement son voyage va se révéler bien plus piégeux qu’espéré…
Le navigateur sur les mers du destin signe la suite de l’adaptation en récits séquencés des aventures d’Elric – série phare de Michael Moorcock – après la parution en septembre 2022 de son surprenant récit introductif. Dans ce nouvel opus de 220 pages, Roy Thomas, accompagné au dessin de Michael T. Gilbert et George Freeman, s’immisce au cœur de l’univers d’Elric et lui donne vie par l’image. Dans la préface à cette adaptation, datée du milieu des années 80, Moorcock en personne souligne l’importance du visuel dans son écriture. Et force est de constater que le travail d’adaptation respecte à la fois l’œuvre fondatrice tout en livrant une vision d’auteurs qui passe par des choix marqués, notamment sur l’usage de couleurs parfois surprenantes.
Roy Thomas, Michael T. Gilbert et George Freeman – Elric T2 : Le navigateur sur les mers du destin – Label Delirium
Quartiers pauvres de Hambourg, 1930. Dans cet entre-deux guerre qui se tend chaque jour d’avantage, aussi bien socialement que politiquement, Julius Crèvecoeur exerce son métier de détective privé. S’il ne roule pas sur l’or, ses clients se faisant rares, ce qui le chagrine le plus reste de ne pas pouvoir mettre à profit son flair dans la résolution des affaires complexes qu’il rêve de se voir confiées. Julius Crèvecoeur, ronge donc son frein en acceptant, faute de mieux, de filer des hommes ou des femmes suspectés d’infidélité par leur conjoint. Accompagné de son fidèle second, Chang, il se rend, en cette matinée, qui ressemble terriblement à la précédente, auprès de Mme Stein qui s’inquiète de l’attitude changeante de son mari qu’elle suspecte de voir une autre femme. Les premiers éléments de l’enquête vont pourtant démontrer le contraire.
Dans un récit complet développé en 128 pages chapitrées, le scénariste Julian Voloj, connu pour ses biopics (Basquiat, Frans Masereel ou encore Bobby Fisher), livre avec L’extraordinaire traversée de Julius Crèvecoeur un récit touchant développé dans une Allemagne gagnée peu à peu par un racisme et un fascisme qui n’a plus rien de latent. Les vitrines cassées ou les personnes agressées en pleine rue par les jeunesses hitlériennes composent le quotidien des grandes villes allemandes et notamment de Hambourg et de son quartier chinois. Le dessin plein de vie et relativement frais de la jeune Chendi, dont c’est le premier projet de BD, sert un récit qui se plait à jouer sur les zones d’ombres et les mystères. Tous les détails comptent ici jusqu’à un final détonant. Un récit qu’il faut lire en cette rentrée littéraire !
Julian Voloj et Chendi – L’extraordinaire traversée de Julius Crèvecoeur – Sarbacane
Violette pilote pour l’aéropostale et survole les longues étendues glacées du Canada, de l’Ontario au Nunavik pour assurer la distribution du courrier et le ravitaillement de zones isolées durant les longs hivers qui touchent cette zone du nord du pays. Quelques années auparavant elle s’est installée à Kuujjuaq pour suivre son mari devenu gérant d’un comptoir commercial. Mais le mariage tourne très vite au cauchemar, son époux mettant tout en œuvre pour l’isoler du reste des habitants du village. Ce n’est qu’une fois que la séparation fut effective que Violette pu enfin revivre. Son travail pour l’aéropostale mais aussi le lien qui devait la lier à des amis proches, dont Putukti, une jeune femme Inuite parlant un parfait français, lui permettent de refaire surface et d’apprendre à aimer cette région inhospitalière à laquelle elle se sent désormais liée… Pourtant, un jour de décembre 1947, lors d’un trajet qu’elle effectue seule, sans mécano, elle est contrainte de poser son avion sur la glace pour ne pas sombrer dans une tempête… Sera-t-elle sauvée et par qui ?
Au départ une histoire ordinaire presque banale d’une jeune femme aviatrice. Comme nombre de pilotes de l’aéropostale avant elle, elle connaitra les déboires d’un voyage mouvementé et l’isolement sur une terre inhospitalière. Puis le conte se déroule, entre rêve et réalité, jusqu’à l’apparition improbable d’un ours polaire. Cette (re)connexion à la nature, qui suit celle de la jeune femme au peuple Inuit, dimensionne le récit et en révèle des liens fragiles, mais précieux, qui tendent parfois à s’effacer tels des pas dans la neige…
Aurélie Wilmet – Épinette Noire – Super Loto Editions
Bon il faut le dire d’entrée, Pierre Ferrero n’envisageait pas forcément être autant dans l’actualité lorsqu’il a amorcé le travail sur Cauchemar. D’ailleurs le titre porte bien son nom, les cauchemars, ne sont pas les prédictions d’un futur mais bien plus des peurs quant à ce qu’il pourrait être. Dans ce récit à forte pagination, il y ait question d’un ancien leader de la nation revenu à la vie qui va pactiser/fusionner avec celui qui possède les reines du pouvoir. Cet ancien n’est autre que Pétain, maréchal de la honte qui a plongé en son temps la France dans le marasme et les Français dans la peur et la souffrance du quotidien. Cet album décrit une société au point de bascule qui a définitivement, ou presque, abandonné toute valeur de partage, d’entraide, de solidarité et qui dresse les hommes et les femmes les uns contre les autres dans un grand chaos. Une société en forme de cocotte-minute prête à exploser… Pierre Ferrero réalise son récit sans lourdeurs ou sans se faire donneur de leçons, en ajoutant ce qu’il faut d’humour et de détachement pour faire de Cauchemar un récit majeur qu’il faut avoir lu. Quand la réalité rattrape ou dépasse la fiction ça fait froid dans le dos…
Pierre Ferrero – Cauchemar – L’employé du moi
Pavil, scribe de son état, agent assermenté de l’Empire s’écrase lors d’un trajet en avion dans le territoire isolé de Lapyoza. Le verdict tombe assez vite, l’appareil du jeune homme ne pourra pas être réparé avant plusieurs jours, plusieurs semaines. Malgré la méfiance, contraint à vivre dans la communauté, il va tenter de s’intégrer peu à peu, acceptant de réaliser des tâches du quotidien en signe de partage et d’amitié. Il se liera avec certains de ses membres et découvrira un rapport à la religion particulier autour de masques étranges… Dans le Visage de Pavil Jérémy Perrodeau livre un récit qui peut s’apparenter à une anthropologie dessinée, au sein duquel son héros va peu à peu s’immiscer au plus près des mœurs et des coutumes d’une communauté qui vit en dehors de l’emprise centrale du pouvoir. Après le Crépuscule et Le Long des ruines, ses deux précédents projets, déjà inscrits dans les littératures de l’imaginaire, Jérémy Perrodeau poursuit son travail avec un récit qui prend le temps, en se construisant par de petits détails a priori sans importance qui pourtant possède chacun une importance dans l’équilibre du récit. Avec toujours ce trait particulier qui le singularise, fait d’une épure et d’une mise en couleurs subtile en aplats, poétique et faussement naïve. Un album qu’il faut avoir lu !
Jérémy Perrodeau – Le Visage de Pavil – Editions 2024