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Polar(s) de la semaine: Liquidations à la grecque de Petros Markaris



Chaque Lundi, Mister Blue partage avec vous ses envies de lecture en vous présentant un ou deux polars qui ont retenu son attention.

L’histoire :

A Athènes, de nos jours, dans un pays ravagé par la crise économique, des banquiers, des agents de notation, des usuriers sont retrouvés décapités à l’épée, tandis qu’une campagne d’affichage sauvage appelle les clients des banques à ne plus rembourser leurs crédits.
Le commissaire Kostas Charitos, qui vient de fêter le mariage de sa fille, est chargé de mener l’enquête dans le monde de la finance pour arrêter ce tueur rusé, alors que l’opinion publique semble plutôt éprouver pour lui de la sympathie.

Pourquoi on a envie de le lire :

Petros Markaris est un auteur grec de 75 ans vivant à Athènes. Il est venu tard au roman policier après avoir été longtemps scénariste, principalement pour le cinéaste Theo Angelopoulos, et traducteur (de Brecht et de Goethe). C’est à 57 ans qu’il crée le personnage du commissaire Charitos et se lance dans l’écriture de polars, avec en toile de fond depuis quelques années la terrible crise qui frappe son pays.

Voici, avec ses propres mots, la genèse de ce personnage :
« Un beau jour, en écrivant le scénario pour la série de télévision « Anatomie d’un crime », apparaît clairement devant moi une famille grecque, typique, simple de petits-bourgeois. Ma première réaction a été de l’envoyer au diable. Dans tous les genres littéraires que ce soit le théâtre ou le cinéma, il y a partout des histoires de petits-bourgeois. Par conséquent, qu’écrire de plus là-dessus? Alors, je me suis dit, laisse tomber… Mais ce personnage était extrêmement têtu; insistant même. Il ne me quittait pas. Dès que je me mettais à écrire, il était toujours là, assis face à moi en me regardant. Le supplice a persisté jusqu’au moment où je me suis dit que, pour qu’il me torture ainsi, il ne pouvait être que flic ou dentiste. Quoi d’autre ? Les dentistes sont peut-être des gens sympathiques mais comme ils ne présentent aucun intérêt dramatique, j’en ai conclus qu’il s’agissait plutôt d’un flic. C’est ainsi que Kostas Charitos est né. »
(Petros Markaris dans le documentaire « Meurtre à l’Agora »)

Sorte de Maigret hellène, Charitos est décrit comme un personnage de flic petit bourgeois ayant appris son métier sous la dictature des colonels, obstiné, humaniste, bon vivant, de mauvaise humeur mais plein d’humour et qui partage avec l’auteur sa passion des dictionnaires.

Liquidations à la Grecque est le septième volet des enquêtes de Kostas Charitos, et le premier d’une Trilogie de la crise que Petros Markaris est en train d’écrire.
Tout comme les précédentes enquêtes de Charitos, il est décrit par la critique comme un polar efficace, mais dont le principal intérêt ne réside pas forcément dans l’intrigue policière mais dans la description d’une Grèce en souffrance, gangrénée par la corruption et la bureaucratie, polluée et ravagée par la crise.
Markaris porte sur son pays un regard critique, ironique mais plein de tendresse et d’humour.
Ses enquêtes du commissaire Charitos sont très appréciées en Grèce et à l’international.

Voici un extrait du livre, pour vous donner une idée de son style :

« L’ambiance au bureau rappelle un peu celle de 1974, sous la dictature, lorsque les Turcs ont envahi Chypre. Les rumeurs se déchaînent et chacun dit n’importe quoi. Quelqu’un affirme qu’on va nous sucrer tout le treizième mois, un autre qu’on nous prendra seulement la moitié de la prime de Noël, un troisième qu’on perdra seulement cinq pour cent des primes de Noël, de Pâques et du congé annuel…Et moi qui devrais distribuer des condoléances au lieu de dragées, moi qui viens de payer une réception de mariage avec musique live, quand on s’apprête à ratiboiser nos salaires.
– Tout ça, c’est un coup des Allemands, soutient Kalliopoulos de la Brigade antiterroriste. C’est eux qui tirent les ficelles dans l’Union européenne et ils font pression pour qu’elle nous mette la corde au cou.
– Arrêtez vos conneries, lance derrière moi la voix de Stathakos, son chef.
Debout devant la porte, il jette un regard furieux sur ses subordonnés.
– Ils ont bon dos, les Allemands. C’est nous qui avons merdé, pour exiger ensuite que les Allemands paient les pots cassés !
Il prend la dragée que je lui tends, marmonne un vague « beaucoup de bonheur », corvée de remerciement contre corvée de dragées. Puis il se réfugie dans son bureau.
– Bon sang ne peut mentir, me chuchote Sgouros, son lieutenant.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Parce qu’il est germanophile de naissance. Son grand-père était secrétaire de Tsolakoglou, Premier ministre sous l’Occupation.
– Je ne comprends pas pourquoi les Allemands ne profitent pas de nos conquêtes au lieu de les démolir, s’interroge Kalliopoulos. Ça leur ferait mal s’ils exigeaient un treizième mois eux aussi, au lieu de nous enlever notre quatorzième ?
Je perds la suite de l’analyse comparative entre les facultés intellectuelles réduites des Allemands et notre débrouillardise, car mon portable sonne et j’entends la voix de Dermitzakis »