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Stupor Mundi de Néjib, l’interview !



Il est l’un des récits surprises de ce premier semestre 2016. L’histoire d’un savant qui fuit sa ville de Bagdad et son pays pour trouver refuge en Sicile dans le château d’un certain Frédéric II aussi dénommé Stupor Mundi, la stupeur du monde. Un roi attiré par les sciences qu’il valorisera durant toute sa vie au point de s’attirer les foudres de la papauté… Un récit qui s’attache à décrire et décortiquer le pouvoir de l’image et a force de manipulation, et bien plus encore. Rencontre avec Néjib son auteur ! Un récit en lice pour le Grand Prix des Lecteurs 2016…  

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Stupor MundiHannibal Qassim el Battouti fuit Bagdad avec sa fille Houdê et son serviteur masqué El Ghoul. Il trouve alors refuge auprès de Frédéric II dans les Pouilles où l’Empereur a élevé un château fort dans lequel sont réunis tous les plus grands scientifiques de son temps. L’homme qui a soif de savoir voit dans le destin de cet homme, chassé de son pays par un imam soucieux de la préservation du dogme, le moyen de se racheter de ses actions passées aux yeux du pape. Hannibal est un descendant direct d’Alhazen, l’un des plus grands scientifiques qu’ai connu le monde arabe, inventeur de la camera oscura, la chambre noire, au sein de laquelle étaient projeté des images venues de l’extérieur, prolongeant ainsi les travaux et la vision d’Aristote ou de Théon d’Alexandrie. Hannibal projette quant à lui d’aller encore plus loin. En se basant sur les études de son aïeul, il souhaite fixer ces images sur un support. Pour Frédéric II l’utilisation de cette technique pourrait bien lui valoir la réhabilitation tant recherchée…
Stupor Mundi a bel et bien existé même s’il n’a laissé qu’une trace éparse dans notre histoire. Visionnaire en son temps, la soif de culture de cet Empereur lui vaut la foudre de la papauté lorsqu’il donne son aval à la dissection des corps. Grégoire IX, dans toute sa fougue qualifia l’homme en ces termes « la bête, qui surgit de la mer, hurle des blasphèmes, enrageant avec sa patte d’ours et sa gueule de lion, ses autres membres informes, tel un léopard, la bouche béante en outrage au saint Nom sans cesser d’élever sa lance elle-même sur le tabernacle de Dieu et ses Saints qui habitent aux cieux… ». C’est sur ces bases que Néjib construit son récit, en confrontant de manière directe les porteurs d’une ouverture d’esprit et les défendeurs d’une tradition et d’un respect des dogmes. Son récit juxtapose deux trames principales qui permettent chacune d’aborder et de développer des thèmes cher à l’auteur, comme le pouvoir de l’image, de la science, la manipulation, le dogmatisme… La première de ces trames se focalise autour du travail proprement dit d’Hannibal et des difficultés auxquelles il se confronte dans son dessein dont le point d’orgue reste cette tension vivace qui oppose le savant au bibliothécaire Gattuso qui affirme que son amour de la science s’arrête là où il m’éloigne de Dieu. La seconde trame suit la fille d’Hannibal, la jeune Houdê, qui, traumatisée par l’épisode qui amena sa fuite de Bagdad avec son père, va tenter de recouvrer la mémoire en se confiant à Sigismond.
Néjib construit son récit en jouant sur un suspense qui va crescendo. Dans une certaine mesure il serait possible de voir dans Stupor Mundi un pendant du Nom de la Rose d’Umberto Eco qui propose dans un huis-clos étouffant une fabuleuse charge contre l’obscurantisme, tout en se faisant le chantre de la liberté et du savoir. Ce suspense Néjib le densifie au travers de la construction de ses personnages qui possèdent tous des backgrounds singuliers. Il le fait aussi et surtout au travers d’une érudition très fine qui sert son propos, en usant aussi de contextes et de personnages réels (Frédéric II, Alhazen, Hermann von Salza) qui amènent un surcroît de réalisme au récit et  densifient le propos.
Sur la forme le dessin se fait parfois minimaliste, à partir d’un trait fin et de couleurs sobres qui permettent une immersion totale dans l’histoire qui nous est contée. Au cœur du récit reste cette camera oscura qui avait été traitée notamment dans le neuvième art par Jean Dytar, et qui, tout en conservant son statut d’invention géniale – qui ne sert à rien pour les porteurs d’un obscurantisme exacerbé – représente le symbole du progrès, de l’idée même que le pouvoir de la pensée humaine peut nous libérer de ces chaînes qui voilent encore notre vision du monde. Sans conteste un des albums majeurs de ce premier semestre.

Néjib – Stupor Mundi – Gallimard BD – 2016 – 26 euros

Entrevue avec l’auteur