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Une BD sous le bras : Brooklyn Babylone



Et si Brooklyn abritait la plus grande tour sur terre ? Un ensemble de centaines d’étages s’élevant à plus de 1000 mètres de haut ? Architecture urbaine démesurée faisant fi des réalités d’un borough peut-être assez fort pour dire non.

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babylone-couvBrooklyn, peut-être plus que les autres boroughs de la City, laisse le temps veiller sur elle. Ses habitants pourraient paraître anachroniques dans une ville qui impose aux regards extérieurs ses larges avenues de Manhattan, gigantesques artères qui s’étendent à perte de vue et deviennent propice à la fuite. Brooklyn ne joue pas dans le même registre. Pas ou peu de numéros pour définir ses rues, ses blocs ou ses découpages urbains. Les quartiers développent ainsi leur identité pour mieux se singulariser et offrir des visages qui racontent une vie, un passé et jusqu’un devenir qui se dessine assurément mieux qu’ailleurs. Loin du conformisme ambiant Brooklyn vit pour elle dans un partage qui se veut plus harmonieux et plus sincère. Elle vit aussi pour le curieux qui souhaite s’y intégrer en acceptant une nouvelle donne urbaine, celle d’un gros village de plus de deux millions et demi d’habitants… Lev Bezdomni vit dans ce borough, à l’est de la City. Artiste étrange qui utilise ses mains et son savoir pour donner vie à des carrousels qu’il patine avec l’amour du travail bien fait, il entretient sa sphère sociale en donnant autant qu’il reçoit, avec désintérêt et modestie. Un jour pourtant le discret artiste reçoit un bien étrange courrier en provenance du maire de la ville, un arriviste mégalomane qui veut entrer dans l’histoire par la construction d’une tour géante de plus d’un kilomètre de haut. L’ouvrage, gigantesque phare ouvert sur l’Atlantique, serait couronné d’un carrousel dont la construction serait confiée à Bezdomni. L’artiste de Brooklyn pourrait ainsi poser sa marque sur un quartier qu’il connait et qui le connait. Mais le projet pharaonique, au lieu de créer du lien – déjà existant – entre les habitants du borough verrait sa géographie totalement modifiée, défigurée par l’usage de grandes pelleteuses et autres machines dévastant l’existant pour offrir à l’édifice sa respiration urbaine. Peut-on s’élever contre un projet qui va à l’encontre de ce qui se construit patiemment dans un quartier, certes pas au centre des attractions mais qui cultive un amour profond pour le partage et combat avec ferveur tout signe avant-coureur de déshumanisation ?  

Babylone, à l’instar des autres travaux de Zezelj se veut un projet d’art brut qui laisse au lecteur le soin de ressentir ses émotions sans l’aide extérieure offerte par des pavés narratifs ou des dialogues entre les personnages qui composent cet album. Et pour tout dire l’image se suffit à elle-même. Les traits noirs jetés sur le papier dans de grands gestes incisifs, comme marqués par l’urgence d’un moment, laissent se dessiner le chaos urbain. Rien ne doit se faire trop lisse. Le sujet n’impose pas la demi-mesure. Cela tombe plutôt bien car le travail de l’artiste croate ne se situe pas dans cette veine conventionnelle qui veut assagir plutôt qu’interroger. L’âme d’un quartier, où chacun possède un rôle, de l’artiste de street art au trompettiste ou à la serveuse de cafés serrés, se construit dans le temps. Vouloir changer la donne c’est aussi vouloir déséquilibrer un ensemble que certains voudraient fragile mais qui tire sa force de cette humanisation urbaine. Contre-nature mais capable de s’opposer aux plus grandes folies de l’homme avec une pirouette et une capacité d’adaptation somme toute plutôt jouissive !

Zezejl – Babylone – Mosquito – 2013 – 16 euros

  

BBSi Babylone ne possède pas de textes ou de dialogues, elle possède ce qui pourrait s’assimiler à une bande-son. La pièce Brooklyn Babylone, écrite par le compositeur Darcy James Argue se veut une prolongation de l’œuvre de Zezejl. Par le mélange des traits acérés qui dépeignent Brooklyn dans un chaos en préparation et la musique atmosphérique qui dépeint ce qui se trame avec l’idée d’accentuer les effets et de questionner aussi sur le sens de cette tragédie urbaine, les deux artistes donnent à voir et à entendre un projet pluridisciplinaire qui s’enrichit de l’apport des deux arts. Le dessin pose le cadre, l’émotion dans l’instant tandis que la musique prolonge notre ressenti et le nuance parfois. Mêler musique et image dans un tel contexte possède donc tout son sens. Le projet en lui-même a fait l’objet d’une représentation publique au cours de laquelle l’artiste croate peignait en direct sur une toile de dix mètres de long ajoutant l’aspect instinctif qui préside à l’art de Zezelj dans son ensemble. Les compositions de Darcy James Argue se veulent structurées autour du dessin avec l’idée de laisser se nouer patiemment le sens global. Les musiciens choisis pour la pièce musicale viennent donc avec leurs bagages, leurs techniques mais s’effacent pour l’ensemble, comme les habitants de Babylone qui se renforcent dans la cohésion de groupe face aux individualismes. Une musique qui peut s’écouter durant la lecture mais pas uniquement…

Darcy James Argue – Brooklyn Babylon – 1 CD New Amsterdam Records – 2013 – 15,24 euros

 

La bande-annonce du spectacle