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Une BD sous le bras : Entrée dans l’univers graphique de Mathieu Lauffray



Partir au loin et si possible y trouver la sève qui nourrit le voyage et nous donne prétexte à le poursuivre presque indéfiniment. Lorsqu’on entre dans l’univers de Mathieu Lauffray et qu’on accepte de perdre nos repères, c’est un peu de cela qu’il s’agit, repousser l’inéluctable retour dans le réel. Avis à ceux qui n’ont pas encore succombés au dessin de l’artiste, ce livre est délicieusement dangereux !

Couverture

axisIl est des artistes que l’on découvre un peu par hasard, sans que l’on sache pourquoi. Un dessin qui nous scotche et nous pousse à revoir nos critères de sens, de perspective, qui nous interroge aussi sur les limites véritables que possède l’auteur pour alimenter cette machine à rêves qu’est l’imaginaire. Je suis entré dans le monde de Mathieu Lauffray en plein été 2007. La porte d’entrée aurait très bien pu ne pas s’ouvrir, et pour cause, la couverture du premier tome de Long John Silver n’appelle pas à la gaité première. Une pluie battante se déverse à grand flots sur un homme qui apparait de dos face à la mer recouvert d’un couvre-chef qui place directement l’action dans l’histoire de la piraterie du XVIIeme ou XVIIIeme siècle. L’atmosphère lourde, rendue par les éléments et le ciel absent, par cette part d’inconnu qui se cache derrière l’épais voile gangueux, participent à nous happer dans un flot de présupposés jouissifs. Car la machine à rêves entre en action devant l’œuvre. On y songe à des histoires de pirates portés par la soif de l’or, avides de sang et de combats épiques. Des hommes bruts dont l’espérance de vie ne dépasse souvent pas le prochain affrontement au corps à corps. On imagine des voyages lointains sur des mers pas toujours hostiles mais qui savent rappeler l’homme à son destin. Et puis la magie opère, pour confirmer nos visions premières et nous embarquer dans un no man’s land épique et stimulant.

Axis Mundi, nous invite à découvrir ce qui se cache derrière le travail du créateur. Mathieu Lauffray livre en effet au travers de cet épais artbook ses impressions sur des sujets aussi divers que le style, l’exaltation, l’encrage qui se rapproche de la peinture. Et qui sert à rythmer les pleins et les vides, le raide et le souple, la description et l’abstraction ». L’artiste évoque par le biais de longs entretiens son rapport à l’art, la gestation de son style, de sa vision d’auteur, ses techniques, ses doutes et faiblesses, ses croyances dans l’image au service du sens : si le dessin est une discipline en soi, il est rarement une fin en soi, il doit « servir » à quelque chose. Servir à une conception, servir un sujet.  A partir d’une documentation iconographique large composée de documents inédits (crayonnés, story-board, recherches graphiques de décors et de personnages…) le lecteur se trouve plongé dans l’imaginaire du créateur. Les images nous happent, elles possèdent force d’attraction mais aussi un sens qui demeure essentiel pour Mathieu Lauffray qui insiste sur le ton du récit : Je me méfie comme d’une peste du racoleur, si subjective puisse être cette notion. Je qualifie de racoleur tout effet gratuit. Toute séduction de surface injustifiable autrement que pour son effet propre. Et pour cause le dessinateur ne se laisse jamais tenter par la surenchère, le voyeurisme, même si son art reste empreint d’un romantisme qui le fait s’éloigner du réel pour construire l’improbable et l’impalpable qui excite nos sens et notre imaginaire. Si nous connaissions l’auteur de Long John Silver ou de Prophet, nous découvrons son travail pour le cinéma et notamment ses collaborations sur des projets tels Le Pacte des loups, 10 000 BC, Saint Ange… Autre facette de Mathieu Lauffray qui participe de la construction de l’artiste. Un artiste qui cultive toujours cette envie d’ailleurs, cette échappatoire au réel qui place le lecteur sur les voies d’un dépaysement permanent : J’ai toujours aimé l’ailleurs, le lointain. Les mondes de Verne, Stevenson, London, Lovecraft, William Hope Hodgson. Je suis fasciné par l’idée qu’il y a quelque chose ailleurs. J’ai besoin de ça. Quelque chose qui n’a pas encore été découvert, qui n’est pas encore fermé. C’est peut-être pour cela que la couverture de Long John Silver nous a captivés quelques six ans plus tôt au point de nous laisser ouvrir la porte pour nous engouffrer dans un dédale de tons et de couleurs propices aux voyages lointains…

Mathieu Lauffray – Axis Mundi – 2013 Ankama/CFSL.Ink – 35, 90 euros