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Les campagnols sont-ils empathiques ?



CampagnolsCertains parmi vous sont sûrement parents. Ceux-ci savent parfaitement ce que produit la rencontre fortuite entre le front de leur tendre progéniture et le coin de la table du salon. Cela fait mal, et ça fait pleurer. Alors que la bosse gonfle, les larmes se mettent à couler.

La réaction la plus naturelle est alors de souffrir avec et pour son enfant, voire de lui faire un de ces fameux « bisous magiques » si prompt à guérir tous les petits maux, suivis de quelques câlins pour le réconforter.

Ce sentiment d’empathie n’a rien d’humain. Pas besoin d’être parent pour s’en assurer, il suffit d’avoir un animal dans sa vie pour le comprendre (le genre tout baveux qui s’applique à vous lécher la narine quand vous êtes triste).

D’ailleurs aucun scientifique, même ceux à l’esprit retord, n’ira nier que du chimpanzé au chat de gouttière, en passant par le chien et l’éléphant, de nombreuses espèces animales partagent ce sentiment d’empathie.

Non, ce qui défrise l’homme en blouse blanche c’est la question de savoir quand est apparue cette faculté ; quand tracer la ligne de démarcation phylogénétique séparant l’empathique de l’égoïste ; et du même coup de savoir d’où elle vient.

Jusqu’à présent, la réponse en vogue dans les labos mondains était de dire : « C’est une question d’évolution, apparue tardivement chez des individus ayant un plus gros cerveau ». Mais c’était sans compter sur le campagnol, espèce considérée comme étant peu évoluée (et il faut bien admettre que son cortex n’est pas des plus impressionnants).

Une équipe de chercheurs de l’Université Emory (Atlanta, USA) est allée voir du côté de cette espèce de rongeurs extrêmement sociables, dont les individus ont naturellement tendance à coopérer. L’idée était simple : est ce que les campagnols sont capables de réconfort dans les moments difficiles ?

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont soumis un sujet dit « Démonstrateur » à un stress intense, pendant qu’un acolyte dit « Observateur » l’attendait plus loin sans savoir ce qu’il arrivait à son camarade.

Les pauvres Démonstrateurs au sortir de leur boite étaient évidemment désorientés et stressés (ce qui se traduit chez les campagnols par un comportement de nettoyage frénétique, et des variations hormonales).

En voyant cela, les Observateurs vont immédiatement aller câliner les Démonstrateurs pour les réconforter. Puis, les Démonstrateurs vont agir comme s’ils avaient été victimes des mêmes désagréments, se nettoyant frénétiquement avec leurs camarades Démonstrateurs.

De là à dire qu’il y a de l’empathie chez le campagnol, il n’y a qu’un pas.

Les chercheurs sont alors allé trifouiller dans le cerveau des rongeurs, pour voir si les mécanismes cérébraux sous-jacents sont similaires à ceux observés chez l’humain. Ils ont ainsi pu montrer que l’activité du cortex cingulaire des Observateurs augmentait au moment de la rencontre avec le Démonstrateur. Et surtout, que le transmetteur impliqué était l’Ocytocine.

Or, l’équivalent du Cortex Cingulaire chez l’humain est connu pour être l’un des substrats de l’empathie ; et l’Ocytocine n’est rien d’autre que l’hormone clé des comportements maternels, de l’empathie et de l’identification des émotions d’autrui !

D’observation il fallait passer à démonstration, l’équipe est donc allée plus loin en empêchant les neurones du cortex cingulaire de travailler correctement, en y injectant une drogue bloquant temporairement l’action de l’ocytocine.

Les campagnols Observateurs ayant reçu ce traitement ont tout simplement cessé d’aller réconforter leurs amis Démonstrateurs… Les campagnols sont donc capables de se réconforter les uns les autres dans les moments difficiles, car ils sont capables d’empathie.

Ce résultat montre que l’empathie n’est pas l’apanage des espèces les plus évoluées, mais est une aptitude probablement très ancienne, enracinée dans les cerveaux de bien plus d’espèces que nous ne voulions bien l’admettre jusqu’ici.

De quoi faire avancer un peu l’idée qu’on a des animaux qui nous entourent.

Pour conclure, les auteurs avancent l’idée que l’origine même de l’empathie, des relations sociales, ou encore des comportements de réconfort ne serait autre que… la maternité ! Voilà quelque chose à méditer.

 

Ref. : Oxytocin-dependent consolation behavior in rodents – J. P. Burkett, E. Andari,  Z. V. Johnson, D. C. Curry, F. B. M. de Waal, L. J. Young (Science, 2016)