L’auteur de manga CAB est le Maxôme d’Honneur du MaXoE Festival 2025 (lire notre news d’annonce).
Après une Carte Blanche dans laquelle il présentait le Podcast Floodcast qui l’a profondément marqué, place à un nouvel article dans lequel CAB nous présente trois femmes qui chacune à sa manière, apportent un éclairage sur l’histoire et notre société contemporaine.
Il y a quelques années, peut-être pas en même temps, ni par hasard, mais souvent au croisement d’une question sincère, qu’elle soit des autres ou de moi même, à moi même, et d’un vrai besoin d’élargir le cadre.
A l’heure où les algorythmes semblent façonner nos esprits, où les débats s’enlisent entre vacarme et vide, j’ai voulu « comprendre » un peu plus, pas une vérité définitive ou une formule magique mais simplement à élargir mon prisme, en essayant de m’instruire plus justement, plus profondément. Je voulais démêler ce qui, dans mon regard, disons de mon point de vue, relevait de l’habitude, du conformisme, finalement des années plus tard, ce que je considère comme des angles morts. Peut-être pas en même temps, ni par hasard, mais souvent au croisement d’une question sincère, qu’elle soit des autres ou de moi même, à moi même, et d’un vrai besoin d’élargir le cadre.
Alors, à la recherche de nouvelles couleurs pour la palette de mes petites connaissances j’ai pu trouver certaines voix émergeant avec la clarté de celles qui aiment apprendre et partager leur savoir. Des voix que l’on devrait prendre le temps d’écouter, et qui, chacune à leur manière deviennent on ne peut plus nécessaires.
Charlie Danger fut la première de ces rencontres décisives. Sur sa chaîne Les Revues du Monde, elle m’a emmené aux quatre coins de l’Histoire avec un enthousiasme que j’ai découvert contagieux. Elle y parlait de civilisations anciennes, de mystères archéologiques ou de mythes oubliés avec la rigueur d’une historienne et la passion d’une aventurière (le charisme de Lara Croft, le savoir de Evelyn Carnahan). Devant ses vidéos, je me suis surpris à apprendre les yeux écarquillés, figés et à l’écoute, à ressentir le frisson de la découverte comme si j’étais là moi aussi, à fabriquer une momie à même le Louvre (ou presque) pour expliquer les rites funéraires égyptiens. Le concept était fun, la vidéo scénarisée, drôle, et surtout instructive. Charlie avait cette pédagogie lumineuse qui rend le savoir « vivant » : elle ne se contentait pas de réciter des faits, elle avait ce don de les transformer en histoires qu’on écoute, captivé, comme un conte autour du feu. Grâce à elle, j’ai compris qu’on peut chercher la vérité sans renoncer à l’émerveillement.
Malheureusement être une femme qui partage le savoir sur Internet n’est pas un chemin sans obstacles et après son passage sur scène pour un talk audacieux où elle revendiquait à raison, le droit des femmes à disposer de leur corps et à briser pléthores de tabous persistants, la violence des réactions qu’elle a essuyées ensuite m’a indigné. Des torrents de commentaires haineux ont tenté de la faire taire, de la discréditer ou même plus globalement de la blesser dans tout ce que ce mot peut vouloir signifier de plus ignoble. Pourtant, elle est restée debout dans la tempête forte et fière et son calme, sa détermination à ne pas céder face à la bêtise et la violence m’ont inspiré un respect immense qui n’a fait que croître. Je compris alors que sa passion pour l’histoire allait plus loin, que le propos était plus profond encore, Charlie portait aussi un courage tranquille : celui de continuer à transmettre, envers et contre tout.
Je retrouvai cette flamme de courage et de liberté chez Manon Bril, que j’ai découverte peu de temps après. Historienne de formation et esprit on ne peut plus libre, elle m’est apparue comme un souffle d’air frais balayant la poussière des dates et des faits. Sur sa chaîne C’est une autre histoire, je l’ai vue surgir en toge romaine, en déesse grecque et en héroïne du quotidien, pour raconter mythes et épopées avec un humour et un sens inné de la pédagogie. Apprendre était devenu un jeu, un spectacle, sans jamais perdre en rigueur. Je me souviens d’une vidéo au titre improbable sur le cannibalisme où je me retrouvais le cul par terre à rire, avant de réaliser qu’en filigrane, elle m’amenait à réfléchir sur la relativité des mœurs et sur la construction de nos peurs collectives. C’était ça, l’essence même : faire rire d’abord, pour amener à faire réfléchir ensuite. Être intelligemment mené, sous une légèreté apparente à une profondeur critique. Dans ma volonté d’apprendre, j’ai découvert, entre autre, comment les mythes anciens ont pu justifier l’ordre patriarcal, ou en dévoilant l’envers sexiste de certaines anecdotes historiques, elle remettait les pendules de l’Histoire à l’heure avec finesse et une certaine espièglerie parfois caustique. Grâce à elle, j’ai compris que l’histoire n’est jamais neutre ni figée : c’est un récit vivant qu’il faut interroger, secouer, et surtout comprendre, pour le rendre plus juste.
J’ai aussi découvert chez elle une force morale admirable. Lorsqu’un polémiste d’extrême droite, à qui je ne veux pas faire de promo, s’est mis à tordre le passé pour nourrir sa propagande, Manon a pris la parole, entourée d’un collectif d’historiens, et a démonté une à une ses contrevérités dans une vidéo au vitriol. La voir utiliser son savoir comme un bouclier contre le bras armé de la haine m’a rempli d’admiration. Elle qui savait tant me faire rire a su aussi, ce jour-là, me faire applaudir devant mon écran, tant sa clarté et son courage étaient salvateurs. Et quand une affaire de harcèlement sexuel a éclaboussé le milieu des youtubeurs scientifiques, elle a eu, la encore, la force de témoigner, de se lever publiquement aux côtés des victimes. Lorsqu’on est une personnalité publique, prendre ainsi position, au risque d’attirer les foudres, exige une intégrité que je dirais bien trop rare, mais, cette intégrité, Manon la porte en étendard, et elle m’a appris par l’exemple qu’aucune connaissance n’a de valeur si elle n’est pas mise au service du bien commun.
Au fil de ces découvertes, j’ai compris que Charlie et Manon n’étaient pas seulement deux étoiles scintillantes isolées dans mon ciel de curieux. Elles se connaissaient, se côtoyaient, et mieux : elles étaient amies dans « la vraie vie ». Et, pour suivre plus ou moins activement les deux compères sur les réseaux sociaux, je peux affirmer que leur complicité est à l’image de leurs valeurs : dans un monde qui essaie trop souvent de dresser « les gens » les uns contre les autres, elles ont choisi la sororité et le soutien mutuel. Et selon moi, ce lien, que j’espère indéfectible, qui les unit donne encore plus de sens à tout ce qu’elles transmettent, car j’y vois dans leur amitié même, une leçon d’intelligence et de cœur.
C’est dans ce sillage de confiance ravivée et de soif de savoir renouvelée qu’une troisième voix est entrée dans ma vie, une qui allait demeurer d’une importance on ne peut plus capitale dans ma vie en la personne de Salomé Saqué. Je l’ai d’abord aperçue chez Manon, invitée le temps d’une vidéo à discuter de la manière dont, de tout temps, les adultes ont traité la jeunesse de « petits cons ». Sa pertinence sur le propos de la vidéo, la véracité de ses paroles et la franchise dont elle faisait preuve m’ont immédiatement donné envie d’en entendre davantage. J’ai alors suivi Salomé sur ses propres terrains, et j’ai découvert une journaliste qui ausculte notre époque avec une perspicacité que je n’avais encore jamais vue, une rigueur et, une fois encore, une pédagogie qui fait un bien phénoménal.
Qu’il s’agisse du dérèglement climatique, des injustices sociales ou des droits des femmes, elle apporte sur chaque sujet un éclairage limpide, pédagogique, rigoureusement documenté et loin de la froideur clinique et souvent biaisée des médias « mainstream ». Elle a cette clarté tranquille qui rend compréhensible le chaos du monde contemporain, guidant via ses paroles et ses mots vers un équilibre, une solution. Je l’ai vue sur plusieurs plateaux, la même posture droite et claire tout en conservant une ouverture d’esprit, prête à débattre, à défendre ses idées face à des responsables politiques qui éludaient, contournaient, diluaient. Elle ramenait toujours au centre de la discussion ce qui comptait plus que les paroles : les faits. Mais jamais dans la violence, pas dans le fracas ni colère, son seul moteur étant une détermination calme forçant le respect et l’admiration. Et ce moment-là, cette façon de tenir la parole sans hausser le ton, ça m’a fait du bien, me rappelant mon grand-père qui n’avait de cesse de me dire : « Elève tes mots, pas ta voix, c’est la pluie qui fait pousser les fleurs, pas l’orage. »
La force de Salomé tient autant dans ce qu’elle explique et défend que dans ce qu’elle incarne ne se contentant pas de « bêtement » commenter l’actualité, elle porte en elle une exigence citoyenne, une exigence que j’ai vu se perdre dans les débats publiques depuis maintenant bien trop longtemps. Récemment, elle a publié un essai au titre évocateur ‘Résister’ où elle appelle à une véritable « résistance intellectuelle et collective » face à la poussée de l’extrême droite. J’ai dévoré ce livre en une nuit tant chaque page faisait écho à mes propres colères mais aussi à mes espoirs pour un avenir que j’espère plus radieux, pour tous. Elle y met des mots clairs sur ce que beaucoup ressentent confusément, que s’indigner ne suffit pas, qu’il faut éclairer, agir, et se serrer les coudes pour défendre nos valeurs et nos idéaux face à la violence et l’oppression d’une haine qui ne cesse de croître. Elle le prêche par l’exemple, dans les petits gestes quotidiens, en claquant la porte de Twitter, lassée du torrent de haine qui y prolifère, renonçant du même coup à une large audience plutôt que de cautionner ce réseau toxique, j’ai compris à quel point elle était fidèle à ses principes. Il faut du cran pour sacrifier ainsi sa visibilité au nom de ses valeurs. Ce courage-là, il a réveillé un battement dans mes veines trop longtemps engourdies, quelque chose qui doit se réveiller, qui appelle à se lever, à se tenir la main ensemble, finalement, à Résister.
Aujourd’hui, Charlie, Manon et Salomé occupent une place singulière à l’horizon de ma « vie intellectuelle » qu’elles continuent de rythmer tous les jours. Elles m’ont appris, chacune à leur manière, qu’on peut transmettre le savoir tout en cherchant à influer sur la société, le monde qui nous entoure. Qu’on peut allier la pédagogie à l’humour, la rigueur à la bienveillance, et que la connaissance n’a de sens que si elle se met au service d’un idéal plus grand qu’elle, ce fameux bien commun. Ensemble, ces trois amies forment à mes yeux un trio scintillant de mille feux dans un ciel qui m’apparaissait bien trop sombre. Leurs voix distinctes se répondent, se complètent, tissant un fil continu entre le passé, le présent et l’avenir et leur amitié elle-même symbolise, à mes yeux, ce pour quoi elles luttent : la solidarité, l’intelligence collective, le refus de la fatalité. Dans le tumulte d’une époque saturée de désinformation que la haine ne cesse de nourrir, à l’heure où la culture et la parole critique sont nos outils essentiels contre la montée de l’extrême droite et le repli réactionnaire, écouter Charlie, Manon et Salomé, les lire, les soutenir, n’est pas qu’un plaisir – c’est une nécessité morale et politique. Grâce à elles, j’ai retrouvé le goût d’apprendre et l’envie de m’engager, à ma mesure, contre l’ignorance et la haine. Elles m’ont rappelé que nous ne sommes pas seuls, qu’il existe des esprits vigoureux et des cœurs sincères pour faire front, et que l’intelligence alliée à la bienveillance, à la volonté de partager, peut faire du bruit, assez de bruit pour tenir en respect les ténèbres qui menacent.
Alors je continue de les suivre, de m’inspirer de leur élan, parce qu’elles me rappellent qu’on peut apprendre autrement, qu’on peut transmettre sans écraser. Elles font partie de ces rares personnes qui donnent envie de devenir moins bête, moins certain, plus ouvert et dans le monde actuel, c’est déjà un acte politique.