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Etienne Rouillon (Games Stories) : ‘Sonic, ma madeleine de Proust’



Voir, c’est bien. Comprendre, c’est mieux. En marge de l’expo-rétro Game Story à Paris, Games Stories du magazine Trois Couleurs, dévore cinq niveaux de lecture dans un hors-série garanti sans triche. 130 pages d’une vision ludique et esthétisante, retraçant l’histoire (pas si secrète) des jeux vidéo, de ses prémices à gros boulons dans l’Amérique des années 70, jusqu’à la consécration, celle d’une contre-culture devenue à coup de provoc’ et de talent, un art aux accords majeurs. Retour sur cet inventaire sur papier glacé avec Etienne Rouillon, rédacteur en chef de Trois Couleurs, et accessoirement sale gosse aux mains décidément très joueuses. Entretien.

 

MaXoE : Etienne Rouillon, dans l’édito de Games Stories (éditions Mk2 Multimédia), vous faites part de votre réticence à consacrer un hors-série au jeu vidéo. Pourquoi une telle appréhension ?
Etienne Rouillon : L’important pour nous était d’identifier dès le départ, à qui Games Stories allait s’adresser. Le challenge était de taille : comment réussir à parler de jeu vidéo à tout le monde ? Comment intéresser à la fois les néophytes, ceux qui ne connaissent que Mario, et les joueurs plus pointus ? Notre parti pris : raconter des histoires. Par exemple, pour traiter du succès planétaire d’un World of Warcraft, du phénomène MMORPG (jeu en ligne), nous sommes partis à la rencontre des créateurs des premières salles de réseau à Paris, dans le Quartier latin. Là où bon nombre de joueurs ont usé leurs claviers, dans les années 90…

Hier moqué, aujourd’hui respecté… Après 40 ans d’existence, quel regard portez-vous sur le changement de statut du jeu vidéo ?
Aujourd’hui, le monde ne se divise plus entre ceux qui diabolisent le jeu vidéo, et ceux qui l’idéalisent. Games Stories essaye justement d’apporter un regard neuf sur cette évolution. Montrer comment le jeu vidéo est passé du confidentiel, de ces deux-trois étudiants souffreteux qui bidouillaient sur un ordinateur dans le garage de leurs parents, à l’institutionnel, avec cette console Wii posée dans le salon, qui réunit toute la famille.

Après l’ère de la diabolisation, place à la démocratisation ?
Effectivement. Et bizarrement, cette diabolisation a eu un effet bénéfique puisqu’elle a fait enter sans le savoir, le jeu vidéo sur la place publique. En creusant un peu, on s’aperçoit aussi que tout le monde a déjà joué, un jour, dans sa vie. Un Pong, un Tetris ou bien l’addictif Snake sur les vieux téléphones portables Nokia. Games Stories sert aussi à interpeller les joueurs qui s’ignorent.

La lecture de Games Stories n’est donc pas réservée aux nostalgiques…
Pas du tout. Même si, en fouillant dans les archives, en retrouvant des publicités d’époque, celles de la Master System de Sega, de la première Playstation, des publicités cultes il faut le dire, je n’ai pas pu m’empêcher d’être un peu nostalgique, c’est vrai. Revoir la bouille de Sonic, époque Megadrive, c’est ma madeleine de Proust.

Oui, le jeu vidéo est un art. Ce qui ne veut pas dire que tous les jeux vidéo ont une portée artistique…

Difficile de revenir sur 40 ans d’histoire sans évoquer les nombreuses sources d’inspiration du jeu vidéo. A commencer par le cinéma…
Oui, et pourtant, parler des liens étroits entre le cinéma et le jeu vidéo nous semblait trop facile, trop évident. Et puis avouons qu’aujourd’hui, la tendance s’est nettement inversée. Le jeu vidéo inspire autant qu’il est inspiré. Je pense que cela tient à ses origines. Dans Games Stories, j’ai eu la chance d’interroger Steve Russel, le père de SpaceWars, le premier jeu vidéo de l’histoire, sorti en 1962. D’après lui, le point fondamental de la création d’un jeu est d’arriver à représenter le réel à l’écran. Et c’est à mon avis ce qui séduit tous ceux qui puisent dans l’univers des jeux vidéo, les réalisateurs, les musiciens, les dessinateurs… Prenons l’exemple de Grand Theft Auto : la notion essentielle du jeu de Rockstar, ce n’est pas la course, ou l’aventure, mais l’idée de déplacement. Pouvoir arpenter une ville et au final, se l’approprier. D’ailleurs, le cinéaste Nicolas Winding Refn ne s’en cache pas : il a ouvertement puisé du côté de GTA ou même de Gran Turismo pour la mise en scène de son dernier film, Drive.

Vous publiez Games Stories alors que se tient au même moment à Paris, l’exposition Game Story (jusqu’au 9 janvier 2012). Avec cette double actualité,  le jeu vidéo semble avoir acquis ses lettres de noblesse. Au point de le considérer comme un art à part entière ?
Oui, le jeu vidéo est un art. Ce qui ne veut pas dire que tous les jeux vidéo ont une portée artistique. Les titres grand public de la Nintendo Wii, ou bien le Kinect de Microsoft, ce que l’on nomme casual gaming, sont à voir comme des versions modernes des jeux de société. Une sorte de Monopoly 2.0. A côté, il y a de véritables créations, à la dimension artistique indéniable. Citons Assassins’s Creed, Uncharted

Et quand je vous annonce que Call of Duty Modern Warfare 3 est le bien « culturel » le plus vendu au monde, vous êtes choqué ?
Mais c’est un objet culturel ! Même si les développeurs d’Infinity Ward s’en défendent,  derrière l’idée esthétique, il y a un message. Après, parlera-t-on encore de COD MW3 dans 40 ans ? J’en doute. Mais le succès est au rendez-vous, et le pire serait de l’ignorer.

Pensez-vous comme Frédéric Mitterrand, le ministre de la culture, que le jeu vidéo a atteint une certaine maturité ?
J’espère que non ! Sinon le jeu vidéo n’aurait plus besoin de se transformer, de se remettre en question, alors qu’il évolue en permanence, dans ses systèmes de jeu, sa représentation graphique. L’histoire n’est pas terminée…

Mature ou pas, comment voyez-vous l’avenir du jeu vidéo ? Dans Games Stories, vous évoquez un média en pleine mutation, qui existera à travers d’autres…
C’est ce qu’on appelle le transmedia. Concrètement, le jeu vidéo sera vraisemblablement amené à dépasser sa forme actuelle de pur divertissement.

Pour tendre vers quoi ?
Un entre-deux encore plus affirmé, assumé, avec une forme inédite de narration, exploitée pourquoi pas dans le développement de véritables films interactifs qui emploieraient exclusivement le moteur graphique d’un jeu. D’ailleurs, ce futur existe déjà : regarder les cinématiques d’introduction d’un Final Fantasy, c’est naviguer sans le savoir, entre cinéma et jeu vidéo.

A quand des créateurs de jeux vidéo à Hollywood ?
Des portes s’ouvrent, mais le chemin est encore long. Les professionnels du cinéma prennent toujours de haut les développeurs, même quand ils s’appellent Shigeru Miyamoto (Mario, Zelda…) ou Warren Spector (Deus Ex, Epic Mickey). Dans leurs têtes, ce ne sont que des amuseurs, des « faiseurs de jeux pour enfants ». Bientôt, ils comprendront que tout cela appartient au passé…

Pour conclure, mettons de côté un instant les jeux vidéo, et parlez-nous de vos projets. Quel sera le prochain hors-série de Trois Couleurs ?
A l’heure actuelle, nous sommes en pleine réflexion. Pourquoi pas un numéro spécial super-héros, en parallèle des sorties cinéma de The Dark Knight Rises et de The Avengers. Et oui, la Marvel est aussi l’une de mes madeleines de Proust !

Propos recueillis par Zender

 

GAMES STORIES : L’histoire secrète du jeu vidéo

Auteur : Trois Couleurs
Edition : Mk2 Multimedia
Vendu en librairie, à la FNAC
Disponible pendant l’exposition Game Story (jusqu’au 9 janvier 2012 au Grand Palais à Paris)
Prix : 6.90 euros