Cette semaine, trois mangas, et pour les trois nous vous présentons deux tomes, qui font appel à nos plus lointains souvenirs, ceux de la première diffusion de 2001 l’Odyssée de l’espace, celle des lectures du maître de l’horreur, à savoir Lovecraft et celle d’une mangaka qui allait passer à la postérité. Trois lectures essentielles pour des heures de plaisirs en perspective !
La chronique suivante concerne deux ouvrages : Anthologie de l’Humain & Anthologie de la rêverie.
Anthologie De l’humain / Anthologie De la rêverie
Parce que ses récits imposent un souffle nouveau sur le manga du milieu des années 70, Moto Hagio capte tout de suite l’attention. Elle parle de mort, de guerre, de regard sur une société malade traversée par plusieurs maux, avec une profondeur peut-être jamais approchée, prouvant au passage qu’il est possible de composer des récits différemment, en y mêlant des ingrédients peu ou pas utilisés. Elle aborde les relations familiales d’une manière assez détonante, parlant d’adultère, de matricide, de traumatisme post-partum, de deuil, le tout sans retenu et en poussant toujours plus loin les curseurs. Elle s’immisce dans le fantastique avec beaucoup d’aisance, jouant sur nos peurs et l’horreur de certaines situations avant de proposer en 1975 un récit qui marquera la SF, Nous sommes onze ! à qui elle offrira d’ailleurs une suite (Nous sommes onze ! Est et Ouest, un lointain horizon).
Glénat, à la faveur d’une exposition au Musée d’Angoulême lancée durant le festival international de la bande dessinée en janvier 2024, propose une nouvelle édition des anthologies de Moto Hagio en deux tomes épais (256 pages pour De l’humain et 352 pages pour De la rêverie) reprenant neuf des nouvelles de la mangaka. Une occasion pour celui qui ne connaîtrait pas encore cette autrice phare, de se plonger dans Nous sommes onze ! et sa suite. Ce récit de SF pure
met en scène de jeunes personnages réunis pour la dernière épreuve d’entrée à L’université spatiale. 700 élèves triés sur le volet vont être réunis par groupe de dix dans un vaisseau pour 53 jours. Sauf que, une fois embarqués à bord, les membres du groupe des dix meilleurs élèves constate qu’ils sont finalement onze. Qui est l’intrus ? Au travers de héros qu’elle sculpte au fil des pages, les rendant toujours moins lisses – dont Flore, à l’identité sexuelle non encore définie – Moto Hagio livre une œuvre qui séduit le lecteur dès la première page et jusqu’à son twist final. Sa suite, qui ouvre une réflexion sur la guerre et le pouvoir, démontre la capacité de Hagio à se mouvoir dans des contextes et des thématiques plurielles, avec la même aisance narrative, signe d’une autrice marquante.
Scénario : Moto Hagio – Dessins : Moto Hagio – Glénat – 256 pages (Anthologie de l’Humain) & 352 pages (Anthologie de la rêverie) – janvier 2024 – prix 14,95 €
La chronique suivante concerne deux ouvrages : L’abomination de Dunwich T1 & T2.
L’abomination de Dunwich T1 & T2
Lovecraft possédait cette faculté à faire naître l’horreur avec de simples mots. Les textes de ses nouvelles, d’une précision chirurgicale, semblent sculpter le roc pour n’en garder qu’une incroyable force suggestive. Des images obsédantes, souvent diffuses, s’affichent dans l’esprit de ses lecteurs pour les plonger dans des univers desquels il semble difficile de sortir indemne. Pour autant mettre des images sur les textes de Lovecraft apparaît comme un véritable challenge et peu y sont parvenus en se plaçant à la même hauteur que le maître de Providence. Car les paysages désolés, brumeux, spongieux, habités de créatures multiformes aux masses disproportionnées et illogiques dépassent de loin ce qu’un esprit sain peut imaginer, induisant de fait, pour celui qui s’y immerge, de faire face à ses fantômes, et de placer son imaginaire au seuil de la folie. Gou Tanabe a décidé de s’y essayer. Depuis cinq ans maintenant le mangaka s’attache à relire les textes du maître de l’effroi avec une régularité et une efficacité détonante.
Après Les montagnes hallucinées, Dans l’Abîme du temps, La couleur tombée du ciel, L’appel de Cthulhu, Celui qui hantait les ténèbres, Le cauchemar d’Innsmouth, Le Molosse, Gou Tanabe nous offre sa relecture de L’abomination de
Dunwich. Dans ce village reculé et malodorant perdu dans les landes inhospitalières de Nouvelle-Angleterre le jeune Wilbur développe des capacités intellectuelles et physiques surprenantes pour son jeune âge. Alors qu’il n’a que 10 ans il se met en quête d’un livre obscur et maudit portant le nom de Necronomicon écrit par un certain Abdul al-Hazred. Peu de copies intactes du livre existent encore mais l’université de Miskatonic détient un exemplaire consultable dans sa bibliothèque… Le Necronomicon évoqué dans Le Molosse, précédente adaptation de Gou Tanabe, est au cœur de L’abomination de Dunwich. Le professeur Armitrage qui comprend très vite les intentions de Wilbur mettra un frein aux espoirs du garçon qui utilisera tous les moyens en sa capacité pour mettre la main sur l’épais volume qu’il convoite. Prévue en trois volets, cette adaptation de Gou Tanabe place un auteur au sommet de son art.
Scénario : Howard Phillips Lovecraft – Dessins : Gou Tanabe – Ki-oon – 210 pages (T1) & 215 pages (T2) – septembre 2023 (T1) & mars 2024 (T2) – prix 18 €
La chronique suivante concerne deux ouvrages : 2001 Night Stories T1 & T2.
2001 Night Stories T1 & T2
Au début l’idée était de rendre un hommage au 2001 l’odyssée de l’espace de Kubrick, film tentaculaire s’il en est qui a questionné et questionne encore toutes les générations depuis sa sortie en salles en 1968. A l’aube de l’exploration spatiale, et après que le premier pas sur la Lune ait lancé l’idée des possibles, une mission spatiale découvre dans les entrailles lunaires, un bloc issu d’une météorite géante composée d’uranium, en écho au monolithe noir du film. Alors que les ressources terrestres faiblissent et que les besoins en énergie ne cessent de se renforcer, cette découverte prend la forme d’une véritable aubaine. Elle lancera véritablement l’idée d’aller conquérir cet inconnu lointain repoussant les limites de la technique et de ce qu’un esprit peut imaginer en cette seconde moitié de vingtième siècle… Autrement dit aucune…
Au travers de pages monumentales, composées entre réalisme scientifique documenté et (science-)fiction qui n’en est qu’une extrapolation plausible, 2001 Nights Stories de Yukinobu Hoshino s’inscrit parmi les grandes œuvres du manga
du début des années 80 aux côtés d’Akira de Katsuhiro Ôtomo, de Ken le survivant de Buronson et Tetsuo Hara ou encore du Dragon Ball d’Akira Toriyama. Pourtant cette série de courtes nouvelles, publiées au Japon mensuellement entre 1984 et 1986, est passée quelque peu sous les radars français avant que Glénat n’en propose, en 2012, une version limitée et luxueuse, aujourd’hui introuvable. Cette nouvelle édition cartonnée, proposée en deux tomes deluxe, bénéficie d’une diffusion à plus large échelle même si le prix de 32 euros (le tome) peut freiner certaines ardeurs. Véritable pépite de la SF, tous genres confondus, cette fresque monumentale, entre hard science et douce rêverie poétique, mettant en scène des mondes fragiles, parfois agonisants, mérite indéniablement l’investissement.
Scénario : Yukinobu Hoshino – Dessins : Yukinobu Hoshino – Glénat – 354 pages (T1) & 436 pages (T2) – octobre 2024 – prix 32 €