
« Les rêves sont des messages des profondeurs ».
Un soleil irradiant. Puis un visage aux yeux bleus surnaturels. Et une voix de femme. Cette voix raconte l’histoire d’Arrakis, planète aride convoitée pour son unique ressource, aussi rare que précieuse : l’Épice. Elle raconte aussi son invasion par la Maison Harkonnen, tandis que le destin tragique de cette planète – rebaptisée Dune par ses habitants, les Fremens – défile tel un mirage. Et enfin, elle prononce un prénom : Paul.

Paul s’éveille avec le souvenir d’un rêve, celui de plaines de sables à perte de vue. Et de guerres. Mais était-ce un simple rêve ? Ou un message prophétique venu des profondeurs ? Il n’a pas le temps de s’attarder sur ces interrogations. Une cérémonie se prépare, cérémonie durant laquelle l’Empereur Padishah Shaddam IV – par la voix de son héraut – s’apprête à annoncer qu’Arrakis devient le fief de la Maison Atréides, après des décennies de domination Harkonnen. Le duc Leto Atréides, le père de Paul, n’a pas d’autre choix que de quitter sa propre planète – Caladan – et d’accepter cette demande de son Empereur, malgré le piège qui se dessine pour lui et les siens. Car les terres de Dune sont hostiles aux étrangers, et la colère des Harkonnen est loin d’être l’unique ennemi des Atréides.

« Un grand homme ne cherche pas à diriger. Il est appelé à le faire, et il répond ». À elles seules, ces paroles que prononce le duc Leto Atréides à l’attention de son fils Paul révèlent toute la profondeur du propos politique de Dune. Car, au-delà de l’aspect purement science-fictionnel imaginée par Frank Herbert, se développe en effet un récit dantesque autour d’un destin messianique : celui de Paul Atréides, qui serait le sauveur que l’univers attend depuis des millénaires.
De cette pierre angulaire, diverses dimensions se dégagent alors. La géopolitique tout d’abord, avec l’affrontement de familles et de populations autour d’une ressource aussi rare que précieuse : l’Épice. La religion ensuite, avec l’influence qu’exerce l’ordre du Bene Gesserit sur le pouvoir politique et l’idée que les peuples auraient besoin d’un Élu, seul capable de les diriger et de leur apporter paix et prospérité. L’écologie enfin, avec ces terres que l’on exploite jusqu’à épuisement au détriment des êtres vivants. Pour les deux premières, il suffit de remplacer l’Épice par le pétrole aujourd’hui (et l’eau sans doute demain), le Bene Gesserit par les religions du Livre et l’influence qu’elles exercent sur nos gouvernements, et le concept de l’Élu par celui de nos élites dirigeantes actuelles. Pour la troisième, nul besoin d’une quelconque transposition, tant les générations s’étant succédées ont toutes reproduit le même schéma.
Dans tout cela, où se trouve le lien avec l’adaptation de Denis Villeneuve ? Tout simplement dans le fait que ce cinéaste de génie est parvenu à rendre limpide la complexité du roman fleuve de Frank Herbert tout en conservant sa richesse, grâce à un film d’une densité extrême qui ne laisse de côté ni l’intensité de l’action ni la lenteur des songes ni la contemplation des grands espaces.

En allant totalement à rebours des codes du blockbuster actuel – comme cela fût déjà le cas pour la suite qu’il a signée de Blade Runner – Denis Villeneuve parvient à effacer la frontière entre film à grand spectacle et film d’auteur, à allier la forme et le fond, rappelant ainsi certaines grandes fresques réalisées dans les années 60 telles que Lawrence d’Arabie. Une filiation que l’on retrouve également grâce à la bande-originale signée Hans Zimmer (qui était à l’honneur d’une récente Playlist). Sa musique – en saturant l’image, en ajoutant au sentiment oppressant de certaines scènes et en habillant jusqu’à l’étouffement cette planète désertique aux dunes incandescentes et inhospitalières – n’est pas sans rappeler parfois celle du film de David Lean.
S’inscrivant parfaitement dans l’ensemble imaginé par Villeneuve, cette musique est l’un des témoins de la direction artistique redoutable du cinéaste. Une direction artistique ne laissant rien au hasard et faisant appel à une mise en scène et une esthétique hyperréalistes qui, si elles ne sont pas (en tout cas pas encore) le prolongement de notre réalité, sont sans aucun doute la représentation d’un futur tangible. Une direction artistique qui prend également toute sa place dans la direction d’acteurs.

Il suffit en effet d’observer l’affiche de Dune pour se dire que son casting a tout pour rendre jaloux les plus grands cinéastes de ces dernières décennies. De l’espagnol Javier Bardem au suédois Stellan Skarsgård en passant par l’américano-guatémaltèque Oscar Isaac et les américains Jason Momoa et Josh Brolin, Denis Villeneuve s’est entouré d’une impressionnante distribution internationale capable d’extravagance comme de modération. Certains seront présents dans le second volet quand d’autres auront déjà quitté Dune, sans doute pour laisser la place aux suivants dont les noms ne sont pas encore connus. Des femmes peut-être ? Car pour l’instant, seules deux figures féminines se dégagent de cet univers essentiellement masculin : l’actrice suédoise Rebecca Ferguson, une ancienne membre du Bene Gesserit et surtout mère de Paul Atréides, et la figure montante du cinéma américain Zendaya, qui n’est autre que ce visage que Paul voit régulièrement en songe, avant de le croiser sur Arrakis. Bien que secondaire dans ce premier volet, il n’y a aucun doute quant à l’ampleur que prendra le personnage de Zendaya dans le suivant, au regard de la place particulière que lui a réservé Denis Villeneuve.
Mais en attendant, celui qui occupe quasiment chacun des plans du film, celui qui est le centre de gravitation de l’ensemble de cette première partie de Dune, c’est Timothée Chalamet. Déjà stupéfiant dans ses précédents rôle, l’acteur est ici tout simplement sidérant grâce à un jeu d’une sobriété extrême où tout passe par son regard. Un regard hypnotique et qui, à lui seul, traduit tous les démons qui animent Paul Atréides : ses rêves, ses désirs,… et surtout ses peurs. Notamment celle d’être cet Élu que l’univers attend, et de se laisser dépasser par ce destin prophétique en devenant un despote plutôt qu’un sauveur.

Que ce soit la présence magnétique de Timothée Chalamet (et de ses cheveux qui ont hanté les nuits de Denis Villeneuve), la mise en scène ambitieuse et singulière du cinéaste, le choix de décors grandioses ou l’intelligence du traitement des divers personnages et éléments de l’intrigue imaginée par Herbert, il est difficile de trouver des défauts à ce coup de maître de Denis Villeneuve qui mérite tous les superlatifs. Un coup de maître qui, presque sans un bruit, a commencé à poser les bases de sa seconde partie : celle du destin tragique de Paul, en l’esquissant subrepticement dans certains de ses rêves.