Cette semaine, une double dose de comics qui entrent directement dans le tout prochain MaXoE Festival.
Downlands
Lovecraft jouit depuis quelques années d’une popularité sans égale. Adaptée, illustrée, son œuvre (ou ses dérivés) n’a jamais autant occupé les étals des librairies. C’est dans cette veine que Black River publie en 2024 un ouvrage un brin déroutant, L’appel à Cthulhu du canadien Norm Konyu. Un album qui déroule l’atmosphère étrange de la Nouvelle-Angleterre avec une touche surprenante de légèreté et d’humour. Si le récit a en dérouté plus d’un, il permettait surtout de découvrir un dessinateur inconnu chez nous dont le potentiel valait la peine d’être exploré. C’est chose faite avec Downlands, publié cette année chez Glénat. L’auteur canadien, installé dans le sud de l’Angleterre, y déroule cette fois un récit personnel qui mêle folklore rural anglais, mythes et légendes inspirés de l’ère victorienne, le tout autour d’un personnage principal creusé et attachant, James, et de personnages secondaires bien léchés qui, chacun, participent à révéler par touches subtiles des pans de l’histoire. Une histoire dont les pièces s’assemblent pour former un final déroutant et touchant.
Mais de quoi s’agit-il au juste ? Qu’elle histoire développe Downlands ? Et comment son auteur a-t-il œuvré à sa construction ? Pour commencer, un petit synopsis qui donnera le ton : James vit dans un petit village du sud de l’Angleterre. Âgé de 14 ans il est très proche de sa sœur jumelle, Jennifer (Jen) avec qui il partage tout. Un jour pourtant, à la sortie d’une épicerie de quartier, un évènement va venir perturber le bel ordonnancement des choses. Jen est terrifiée par un immense chien noir. Un molosse que, pourtant et étrangement, elle est seule à voir. Quelques jours plus tard elle décède d’une rupture d’anévrisme. Pour James la disparition de Jen sera le début d’une longue enquête qu’il mènera dans le village et au-delà, sur la campagne reculée, pour en lever les mystères. Il se rapprochera ainsi d’une vieille dame surnommée la « sorcière » qui a écrit, il y a quelques années, un livre d’histoire locale qui évoque le folklore local et tout un tas de faits divers attachés des plus macabres.
Dans une proposition fouillée – l’album dépasse les 300 pages – Norm Konyu livre un récit habillement mené, qui flirte aussi bien avec les ambiances lourdes de Lovecraft, qu’il revendique comme une inspiration de son travail, mais aussi celles du Twin Peaks de Lynch, pour son côté « enfermement » local, et peut-être d’un Arthur Machen pour la manière de tisser son fantastique à partir de petits éléments assemblés qui une fois réunis font sens. Sur le plan graphique, le canadien surprend dans sa maîtrise des lumières et des tonalités qui participent à nourrir l’atmosphère du récit, mais aussi par un trait anguleux et simple, jamais chargé, qui cherche avant tout l’expressivité. Dans un roman graphique qui nous immerge, avec délectation, un bon et long moment dans un univers singulier, Norm Konyu parle du deuil et de sa nécessaire reconstruction mais aussi de l’attention à porter aux petites choses, qui, insignifiantes pour la plupart d’entre nous peuvent pourtant révéler, au-delà de leurs mystères, tout un tas de choses sur la face cachée d’un monde qui se construit et se développe à la lisière du nôtre. Un petit bijou tout en maîtrise !
Scénario & dessins : Norm Konyu – Glénat – 304 pages – avril 2025 – prix 17,99 €
Spy Superb, L’espion Ultime
Je passe aux aveux. Matt Kindt fait partie, avec Jeff Lemire, de mes deux auteurs de comics favoris. Peut-être car les deux, même si leurs univers diffèrent, cultivent la même volonté de développer une œuvre autour des grands héros de la culture US (Wolverine, Avengers, Mephisto… pour Kindt) sans pour autant négliger la niche de récits plus personnels ou plus typés. J’ai découvert Matt Kindt tardivement avec Dept. H publié en 2018 chez Futuropolis. Puis j’ai remonté le fil jusqu’aux débuts de sa carrière de dessinateur et de scénariste, avant d’enchaîner avec l’épais Mind MGMT, toujours chez Futuro. D’où me venait l’attirance pour cette œuvre ? Sur le papier son style graphique pourrait en dérouter plus d’un. Faussement cafouilleux, le trait de Kindt va à l’essentiel, celui de servir d’abord le récit, sans jamais le charger. C’est efficace, dynamique et toujours dans le ton. Et, même quand il se fait plus intimiste ou qu’il doit jouer sur les émotions, sa ligne ne dénote jamais. Equilibrée et fluide. Cela permet à la narration de se développer sans véritable frein, ni véritables limites. Les pages se tournent façon page-turner, jusqu’au final que, bien souvent, on atteint en légère décélération, juste pour ne pas quitter trop tôt l’histoire et les personnages.
Mais revenons au sujet qui nous intéresse ici, de quoi nous parle Spy Superb ? D’espionnage ! Surpris ? Non, pas vraiment car Kindt cultive un intérêt manifeste pour le genre. Et ce depuis au moins, l’étonnant Super spy (étonnant la ressemblance des titres !) paru chez Futuropolis en 2008. Le Spy Superb qu’est-ce ? Tout simplement (dixit les pavés narratifs des premières pages de l’album) « Un parfait athlète, au QI exceptionnel. Un maître du camouflage. Un tacticien de génie maîtrisant toutes les langues (dans tous les sens du terme) ». Sauf que ce dieu humain, mi-Appolon mi-Hercule, n’existe pas. Une légende qui ne perdure que dans l’imaginaire collectif… Et pourtant. Se pourrait-il que Jay, ce libraire pas très doué et romancier raté, aussi utile qu’une brosse à dents pour nettoyer un entrepôt de quelques milliers de m², soit le nouveau Spy Superb ? L’essentiel serait que certaines personnes le croient. Le reste importe peu (ou presque) tant que les objectifs sont atteints. Et pour tout dire, bien malgré lui notre idiot utile va naviguer entre pas mal de peau de bananes jetées sur son chemin. Jusqu’à où et jusqu’à quand ?
Si Matt Kindt nous séduit c’est qu’il ne se prend jamais au sérieux. Il décline, avec un plaisir qui se lit dans chaque recoin de planche, les récits qui lui plaisent à partir d’ambiances ad hoc et de personnages atypiques qu’il densifie au fil du récit. Des anti-héros qui se prennent trop (ou pas assez) au sérieux, et qui subissent leur destin plus qu’ils ne le maîtrisent. Jay en est le parfait exemple. Sorte de François Perrin, le comptable malchanceux de La chèvre incarné par Pierre Richard, il parvient à ses fins en empruntant les trajectoires les plus insoupçonnées… What else ?
Scénario : Matt Kindt – Dessins : Matt & Sharlene Kindt – Futuropolis – 160 pages – mars 2025 – prix 25 €