Composé par Jean-Marc Rochette, Ailefroide intrigue dès sa couverture où apparait un homme en pleine ascension d’une paroi pas si simple à maitriser. Le dessinateur, ici en auteur complet, nous immisce dans une jeunesse pas forcément simple, celle de son héros, qui n’est autre que lui-même, une quarantaine d’années plus tôt. L’opacité que le récit pouvait engendrer est vite levée, grâce à une capacité à faire entrer le lecteur dans le destin d’un garçon en recherche d’une stabilité et d’une voie qui pourraient éclairer une vie en devenir…

Sur l’ensemble de sa carrière (rappelons que nous avons chroniqué en 2014 Le Transperceneige, Grand Prix du MaXoE Festival 2014) Jean-Marc Rochette a peu scénarisé et pas depuis un certain temps. Ailefroide ne pouvait toutefois pas se construire autrement que par sa propre vision, son propre sentiment et ressenti d’un passé déjà distant. Dans un récit en forme de mémoire sur une partie de sa jeunesse, au cours de laquelle il grimpait en haute montagne avec une passion dévorante, souvent dans des situations où le risque s’affichait palpable, Jean-Marc Rochette nous happe dès les premiers instants. Pourtant le risque, sur ce type d’histoire, restait d’intéresser uniquement les initiés. Avaler des « murs » de plusieurs centaines de mètres ne passionne ou ne fait pas forcément vibrer ceux que la fibre montagnarde n’atteint pas.
Pour se sortir du piège Jean-Marc Rochette prend le parti de ne pas nous parler de montagne, ou tout du moins pas que, mais de livrer en revanche un récit où elle s’impose comme un personnage à part entière. Un personnage à domestiquer. Parfois dure, impalpable, muette, rugueuse, bavarde ou mutique, elle peut se faire froide ou enveloppante, tout comme elle peut mettre à mal les certitudes ou l’arrogance de ceux qui la sous-estime, ne serait-ce qu’un instant. L’auteur nous parle aussi des rapports, pas forcément faciles, d’un garçon à sa mère, et de cette soif de goûter à une forme de liberté et d’affranchissement. Narrativement Jean-Marc Rochette, aidé par Olivier Bocquet dans la construction de la trame, livre un récit d’une grande force d’expression soutenu par un dessin qui magnifie sans cesse les scènes y compris les plus dures. Un album qui donne une sacrée claque à ceux qui s’y laissent prendre…
Jean-Marc Rochette – Ailefroide – Casterman – 28 euros