Le destin des grands hommes comporte souvent des zones d’ombres, moments privés et préservés qui pourtant permettent de mieux comprendre ce qu’ils furent, ce qu’ils portèrent comme projets et ce qu’ils défendirent comme cause. Camus fut un homme engagé, parfois incompris qui marqua son époque. Une biographie complète lui est consacrée par José Lenzini et Laurent Gnoni, pour mieux comprendre l’auteur de La Chute…
Stockholm, 10 décembre 1957. Sous les regards du monde entier et de l’académie des Nobels, Albert Camus lit un discours longuement mûri dans lequel il évoque son rôle et son devoir d’écrivain face à tous les impérialismes sûr de leur fait qui prêchent la bonne parole en prenant les armes. Il vient d’obtenir le prix Nobel de littérature et le texte qu’il décline se veut une réponse par la plume pour aider les opprimés. La plume, il la prendra et se fera aussi et souvent des ennemis parmi les intellectuels engagés de l’époque menés par un Jean-Paul Sartre ami, puis ennemi juré. Les deux hommes avaient sûrement trop de points communs et trop de caractère pour se trouver réunis sous la même bannière.
De sa naissance en Algérie en 1911, Camus garde les souvenirs épars de sa famille, décomposée suite à la mort de son père lors de la bataille de la Marne menée sur le front européen. Elevé en partie par sa mère qui, suite au typhus qui la frappe alors qu’elle n’a que douze ans, entend et s’exprime peu, il doit aussi et surtout subir les foudres d’une grand-mère autoritaire qui le terrorise régulièrement. Il vivra ainsi une enfance entre rigueur familiale et espérances dans un futur bien meilleur. Car le jeune homme possède des prédispositions. Pour le sport notamment où il brille en tant que joueur de foot au sein du Racing Universitaire d’Alger. Pour les études ensuite où il excelle au point que son professeur vienne vanter ses mérites auprès de sa mère – et de sa grand-mère – pour qu’elle lui laisse poursuivre un enseignement secondaire. Il décrochera une bourse et, de facto, l’assurance d’un bien meilleur avenir que celui qu’aurait dû lui autoriser sa naissance au sein d’une famille modeste. Le reste nous le connaissons mieux. Son nécessaire exil suite à des déboires journalistiques (le jeune rédacteur pousse des cris d’alarme pour dénoncer ce qui lui parait innommable, la misère en Kabylie) qui lui vaudront la censure d’une presse bien trop conformiste, les premiers regards de la presse et des intellectuels français sur ses premiers romans (L’envers et l’endroit, La mort heureuse, Noces…). On engagement parfois contesté et cet attachement à sa terre natale et à sa mère auprès de qui il se rend régulièrement.
En grand spécialiste de Camus José Lenzini livre avec Camus, entre justice et mère, un récit construit autour du discours de Stockholm à partir duquel il livre une biographie complète de l’auteur de La Peste. L’enfance, l’adolescence et la vie d’homme sont ainsi livré sans détour en insistant sur les faiblesses de l’auteur, ses doutes, ses espoirs et les valeurs qu’il défendra sa vie durant. Au niveau du dessin Laurent Gnoni fait le job, sobre pour accompagner son sujet, il laisse les images envelopper le récit en lui donnant ce relief nécessaire pour faire du projet un récit que l’on prend plaisir à lire.
Lenzini et Gnoni – Camus, entre justice et mère – Soleil – 2013 – 17,95 euros