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La BD du jour : Jack Joseph, soudeur sous-marin de Jeff Lemire

S’enfoncer dans les eaux sombres du Pacifique pour trouver un sens à un futur terni par des souvenirs passés qui gangrènent le présent. Jack est soudeur sous-marin. Métier pas franchement jouissif mais qui relie l’homme à son père… Alors que lui-même s’apprête à vivre une paternité, des questions et leurs nécessaires résolutions s’imposent comme essentielles pour avancer de nouveau…

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JackPlonger pour souder les éventuelles fuites qui se forment sur les longs tuyaux d’une plate-forme pétrolière qui s’élève au large des côtes canadiennes de la Nouvelle-Ecosse. Tel est le travail pas forcément stimulant qu’exécute avec précision et dévotion Jack Joseph. Le jeune homme possède les traits tirés dus au travail harassant qui est le sien. Il va être père, c’est maintenant imminent mais, alors que cet évènement devrait le changer et le porter vers l’avenir, quelque chose d’impalpable au premier abord attire Jack à plonger encore, au risque d’y perdre la raison et plus que cela la vie. Car la paternité nouvelle qui se profile agit sur l’homme comme source de souvenances. Celles qui le lient à un passé difficile, lorsque, jeune garçon, il déambulait en ville quelques heures par semaine avec son père, séparé de la mère de Jack, qui lui aussi était plongeur. Le paternel n’était pas un modèle à suivre. Alcoolique notoire, l’homme n’était que peu lucide une fois son travail achevé… et la route qui le menait au bar proche du port ressemblait plus à un gouffre abyssal duquel il est difficile de s’extraire que du chemin de croix rédempteur. Un jour où l’homme était peut-être moins imbibé il offre à Jack deux cadeaux qui sonnent comme merveilleux pour le garçon en manque de repères paternels, une montre à gousset et l’assurance de participer activement à la soirée d’Halloween. Mais voilà, l’homme rongé par l’alcool n’est pas fiable au point de mettre en colère le jeune Jack qui jette la montre qui lui fût offerte dans l’eau du petit port… En voulant la récupérer dans sa tenue de scaphandrier, le père de Jack est emporté par les eaux… La paternité de Jack lui renvoie en pleine face les rapports avec son propre père et, tant qu’il n’a pas fait le deuil de cette relation difficile, il ne pourra lui-même jouer son rôle et assumer les responsabilités qui se profilent. Lors d’une plongée dans les eaux proches de la plate-forme pour laquelle il travaille, le jeune homme est attiré au fond des eaux par une voix étrange qui le dirige vers la montre à gousset lancée par lui quelques années auparavant…

Une histoire comme il peut en exister tant d’autres dans la vraie vie, qui atteste peut-être des difficultés à assumer ses choix, à faire le deuil de notre passé pour mieux appréhender l’avenir. Pour Jack, la conjonction d’une paternité prochaine et la découverte, dans les eaux sombres de l’océan, d’une montre semble-t-il semblable à celle qui lui aurait été offerte jadis par son père, unique cadeau palpable jeté à la mer un jour de colère, vont ranimer des souvenances dont le jeune homme devra se défaire pour poursuivre sa vie auprès de la femme qu’il aime. Des questions remontent à la surface comme attirées par leur nécessaire résolution : Serais-je un bon père ? Ai-je une part de responsabilité dans la fin tragique de mon propre père ? Est-il possible qu’un jour j’en oublie les contours de son visage, de ses traits, des moments partagés, éphémères et si rares ? Le passé douloureux peut-il remettre en cause mon présent et mon avenir ? Pour avancer Jack devra se faire violence, revivre à demi-conscient – rêve éveillé ou réalité alternative ? – ces épisodes douloureux qui s’affichent comme la clé de son équilibre mental mis à rude épreuve. Le récit de Jeff Lemire possède une attraction trouble, de celles qui posent une atmosphère propre à nous questionner nous-même, sur notre rôle, notre rapport aux autres. Des souffrances du jeune Jack au sentiment de culpabilité de l’homme adulte, il y a ses années masquées que nous devinons difficiles. Le dessin d’une formidable densité graphique se fait parfois d’une créativité et d’une inventivité redoutable pour servir son propos. Rien n’est de trop dans ce récit de plus de 200 pages, ce qui atteste de la maitrise de son sujet par un auteur qui pourrait devenir essentiel au neuvième art…

Jeff Lemire – Jack Joseph, soudeur sous-marin – Futuropolis – 2013 – 26 euros


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