Adapté au cinéma ou en bande dessinée, La guerre du feu a traversé les ans avec ce mythe attaché à la maîtrise du feu capable d’élever les hominidés au rang de véritables hommes. Emmanuel Roudier qui n’est pas un inconnu sur cette thématique historique, nous réconcilie avec l’œuvre originale…
Le feu venait de s’éteindre dans une lutte sans merci avec une tribu rivale. Les Oulharms voyaient dès lors croître leurs craintes. Car même s’ils ne le maîtrisaient pas totalement, n’étant pas encore capable de le faire naitre, il représentait la force vive de leur foyer et de leur combat contre ce monde sauvage. Comme le dit Faouhm, le chef de meute au début du récit : Comment vivront-ils sur la steppe et la forêt, qui les défendra contre les ténèbres et le vent d’hiver ? Ils devront manger la chair crue et la plante amère ; ils ne réchaufferont plus leurs membres ; la pointe de l’épieu demeurera molle. Le lion, la bête-aux-dents-déchirantes, l’ours, le tigre, la grande hyène les dévoreront vivants dans la nuit ! Toute la tension apparait dans la fragilité de ce contrôle du feu. Non seulement celui-ci améliore la qualité de vie mais s’impose comme la première barrière contre les agressions nocturnes des bêtes féroces qui peuplent des landes où seuls les plus forts peuvent espérer voir le coucher du soleil.
Dès lors les Oulharms chevauchent les steppes en courant sans autre but que celui de trouver un abri qui pourra les protéger de tous les maux qui planent sur eux… Mais comment vivre avec cette peur constante, comment envisager de ne pas succomber au détour d’une forêt dense, d’une crête ou d’un haut plateau ? Comment construire et développer ce que les anciens ont donné à leur descendance sans l’aide précieuse du feu ? La décision est prise. Faouhm donnera la plantureuse fille de sa sœur, une certaine Gammla ainsi que le bâton de commandement à sa mort à celui qui ramènera le feu au sein de la tribu. Naoh, qui avoue des visées sur la jeune fille, accepte immédiatement le challenge. Mais il ne sera pas seul à partir à la recherche du Graal, Aghoo, un guerrier surpuissant, accepte lui aussi ce défi plus par souci de domination que pour la belle Gammla. Chacun, accompagné de deux guerriers, partira dans une direction, avec l’envie de parvenir à retrouver le feu… Tels sont les ingrédients qui pimenteront un récit qui fit le succès de son auteur, J.-H. Rosny aîné en 1911.
Emmanuel Roudier excelle dans la description de ce monde préhistorique. Il avait déjà travaillé sur cette période et ses connaissances en archéologie permettent de crédibiliser son récit, mais au-delà sa proposition graphique étonne, mélange de brutalité des combats entre les espèces pour leur survie et de moments de partage entre les hommes encore fragiles. Au niveau du dessin, soutenu par des couleurs totalement maîtrisées, les planches offertes dégagent une poésie et une force qui soutiennent un propos souvent rare. Les paysages et la précision des combats entre les bêtes furieuses sont véritablement somptueux si bien qu’il est difficile de détacher notre regard de telle ou telle planche. Prévue en trois volets, cette série s’annonce déjà comme incontournable…
Emmanuel Roudier – La guerre du feu (d’après J.-H. Rosny aîné) – Delcourt – 2012 – 14,30 euros