Le danger en vaut bien la chandelle. Cette expression pourrait très bien dépeindre ce qui se niche dans Lueur de nuit que nous offre Olivier Boiscommun. Les enfants qu’il nous laisse suivre ont tout de ces laissés pour compte des villes médiévales. Indigents dont le seul but reste de survivre dans un monde pas foncièrement tendre, ils vont pourtant vivre une expérience qui les bouleversera à jamais…
Trois enfants dérobent sur un marché une bourse à une vieille dame avant de tenter d’acheter avec son contenu une bonne miche de pain. Vite pris en chasse par la police des marchés, ils arrivent tant bien que mal à échapper à une capture qui pourrait s’avérer fatale pour eux. Arrivés à la marge de la citadelle, proche d’un gigantesque parc dans lequel s’élève un château qui semble en ruine, ils décident de forcer la grille d’entrée malgré les risques encourus. Le lieu serait en effet maudit et hanté par on ne sait quel esprit… Une fois arrivé dans l’antre du château Martin, Gabrielle et Émile décident de se reposer tout en partageant le pain dérobé plus tôt sur le marché. Si tout apparait calme à l’intérieur des murs alors que le jour n’a pas encore laissé place à la nuit, la donne va pourtant changer quelques heures plus tard. La découverte d’une naïade envoutante au corps de sirène jettera le premier trouble, comme cet enfant à la bougie capable de faire apparaitre des images spectrales plus ou moins menaçantes. Que laisse présager cette nuit dans ce lieu maudit ? Les enfants apercevront-ils les lueurs du petit matin ? Rien n’est moins sûr, tout reste possible, mais s’ils en réchappent ils garderont indubitablement une trace indélébile de cette expérience…
Monde niché entre deux eaux, dans un lieu inconnu de nous, même s’il peut nous apparaitre familier, l’univers qui prend corps dans Lueur de nuit garde une attache et des repères de notre histoire tout en conservant suffisamment de distances pour éveiller notre imaginaire. Monde fragile s’il en est, où la ruse s’élève en maître mot pour espérer survivre jusqu’au lendemain, à l’image des trois gamins des rues Martin, Gabrielle et Émile qui remplissent leurs ventres par de petits larcins opérés sur les marchés de la ville, le monde tel que nous le présente Olivier Boiscommun manque peut-être de cette flamme, d’une poésie qui pourrait adoucir les mœurs et offrir un visage plus humain, il possède néanmoins cette capacité à nous surprendre, à bousculer les habitudes et à laisser vivre l’espoir. D’un point de vue scénaristique ce récit, en forme de huis clos obsédant, repose sur ce décalage entre les gamins des rues et l’enfant à la bougie. Isolé, loin des siens disparus à jamais de ce monde terrestre, l’enfant offre en vitesse accélérée, le temps d’une nuit, une autre vision d’un monde possible. Olivier Boiscommun a souhaité coller à l’image des enfants des rues du dix-neuvième siècle, tel Gavroche, en construisant pour eux tout un langage imagé argotique qui permet d’insuffler un réalisme saisissant à l’univers dépeint. Sur le plan graphique Lueur de nuit se fait littéralement envoûtant. Par le monde qu’il crée, par sa maitrise des teintes bleues/grises réalisées en couleurs directes et par le nuancier dont il se sert pour garder tout à la fois une homogénéité structurante et suffisamment de variété graphique pour imposer sa marque. C’est beau, mais pas que, ça offre des pistes de traverses à nos imaginaires stimulés, on se surprend même à essayer de savoir ce qui a bien pu se passer avant la scène qui ouvre l’album et qui nous place directement au cœur de l’action tout comme on s’imagine aussi l’après, peut-être pour mieux retarder notre retour au réel. Lueur de nuit travaille sur la nature du conte tout en adoptant un traitement contemporain. Olivier Boiscommun laisse l’impression de s’y mouvoir avec un plaisir sans borne. Adepte du fantastique, du conte et de tout ce que cela induit comme féérie créée et comme décalages par rapport à un monde contemporain qui pourrait parfois ne pas quitter son large manteau gris peu propice aux rêves, il a gardé cette faculté salutaire de se et de nous surprendre…
Olivier Boiscommun – Lueur de nuit – Glénat – 2013 – 14,95 euros
A noter que la galerie Daniel Maghen propose encore des tableaux d’Olivier Boiscommun tirés de ce projet. Une bonne idée cadeau en cette fin d’année ! (A voir sur le site de la Galerie ici)
Interview d’Olivier Boiscommun