MaXoE > RAMA > Dossiers > Livres / BD > La BD du jour : Tangente de Céline Wagner


La BD du jour : Tangente de Céline Wagner

Quatre personnages pour quatre histoires. Des histoires où il est question de tangente, de départ au loin, de remise en question des certitudes. Comme pour mieux dompter nos peurs et nuancer nos quotidiens qui, même si l’issue en est connue, peuvent encore nous surprendre…

 

Céline Wagner ne fait pas les choses à moitié. Dans Tangente elle ne nous conte pas le destin tragique d’un, ou deux personnages, elle va jusqu’à dépeindre quatre morceaux de vie d’hommes et de femmes pas forcément épargnés dans leur chair et dans leur âme. Ces destins ressemblent parfois aux nôtres. Vies écartelées entre la réalité d’un quotidien mortifère, une aliénation de plus en plus marquée à la société qui nous entoure issue d’une désocialisation qui tisse sa toile au fil des jours de façon prégnante, une croyance aussi en un avenir incertain et peu enclin à réveiller l’espoir qui nous anime.

Le monde de Céline Wagner ne baigne pas dans l’allégresse, mais là n’est pas forcément son intention. Non, elle sculpte au scalpel des tranches du quotidien de ses personnages, les accompagne un instant dans leur prise de tangente, celles-là même qui pourraient leur ouvrir les voies de destinées moins grisonnantes, moins orientées vers des vides abyssaux du zéro espoir. Car quoi de plus triste que de se savoir déjà pris avant l’heure dans les griffes de la faucheuse dans sa superbe bure grise ? Ces petites morts qui rongent des quotidiens désillusionnés, empreints de faux-semblant et de vraies déprimes constituent le cœur de Tangente.

Renan vit seul et, comme bien souvent dans ce cas-là, se construit un monde à lui fait d’habitudes qui le réconfortent. Un monde dans lequel tout semble codifié, réglé, parvenu à un haut degré de contrôle. Mais dès lors qu’un grain de sable vient s’immiscer dans ce grand ordonnancement des choses tout peu vite basculer. Antonin, lui, vit de peu et de rien. Il possède ses gagneuses qui sentent bon le miel. Proxo sans but et sans espoir il entend bien « décrocher » mais le peut-il vraiment ? La vie d’Anthelme va se trouver bouleversée du jour au lendemain. Arrivé au fond du trou va-t-il y rester ou bien rebondir pour parcourir de nouveaux horizons ? Prune enfin a perdu ses illusions et, lorsque son ami l’inscrit pour jouer les doublures en offrant sa croupe au regard des caméras, elle finit de plonger dans ce dégoût de la vie.

Des questions parcourent cet album que l’on peut percevoir sombre mais pas que. On y trouve parfois des situations à fort potentiel comique issues du décalage qu’instaure Céline Wagner entre le texte narratif et l’image qu’il illustre. Le texte, nous le sentons au travers des pages, possède sa propre force, peut se lire presque indépendamment du reste de l’album, comme un tout qui fait naître des images en nous, pas forcément les mêmes que celles de l’auteure mais qu’importe, le lecteur possède aussi ses vérités, ses propres visions de la vie et de la mort, sa propre expérience d’un quotidien asservissant ou bouleversant, jamais plat. Alors pourquoi pas ?  Céline Wagner mêle ces destins aux rêves de personnages secondaires qui peuvent rehausser ou nuancer, tout du moins apporter une donne nouvelle à la compréhension globale de ce qui se passe, comme pour mieux densifier son propos, tout du moins inclure une part de vertige dans ce qui se trouve offert dans ces pages denses.

De tout ce flot nait un album singulier donc attachant qui mérite une lecture fine pour percevoir ce qui se cache entre les lignes, entre les cases. Il ne faut plus hésiter à revenir en arrière, parcourir l’album dans des sens inhabituels pour en percevoir toute sa sève. Au contraire d’un Mithridate, buvant chaque jour des gorgées de poisons de peur de mourir sous l’effet de l’un d’eux, Tangente de Céline Wagner ne compte pas anesthésier nos douleurs et rompre les sombres fils qui emmêlent nos quotidiens, mais propose sa vision comme pour mieux dompter les évidences quelles qu’elles soient même les moins douces…

Céline Wagner – Tangente – Des ronds dans l’O – 2012 – 16 euros

 

Interview vidéo de Céline Wagner