Dessiner la vie de Van Gogh. L’exercice a été fait maintes et maintes fois, parfois avec réussite et la compréhension de la dimension du personnage, parfois avec une distance peut-être trop forte avec ce que le peintre fut. Dans Van Gogh. Fragment d’une vie en peintures Danijel Zezelj saisi des fragments de lettres pour composer et mettre en évidence tous les troubles qui habitaient le peintre. Dans une forme de dénuement saisissante il capte et ne lâche plus le lecteur. Brillant !
Fragments d’une vie en peintures. Le sous-titre de l’album que consacre le dessinateur croate Danijel Zezelj à Vincent Van Gogh pose le cadre du récit. Des moments captés sur le vif, des instants figurés qui ont touchés et/ou influencés le peintre néerlandais. Des temps séquencés, enchaînés a priori sans lien mais qui, réunis, fondent toute la psyché de Van Gogh. D’une sensibilité exacerbée à une folie douce ou radicale, Zezelj extrait ce qui, à ses yeux, apporte des élément de compréhension sur l’artiste. Un artiste troublé, écœuré parfois de la vie ou troublé par des petits riens gravés durablement dans son esprit.
A partir de fragments de lettres qu’il a isolés de la correspondance de Vincent, des courriers adressés principalement à son frère Théo mais aussi à sa mère, à sa sœur ou à des amis, Zezelj tisse des images graphiques, sans texte, des matières découpées ou pas, des pleines ou double-planches qui saisissent l’instant. Chaque séquence, au nombre de quinze, se décompose en un récit dessiné de quelques planches ouvert par une double-page noire qui annonce sobrement le chapitre, avec un lieu et une date, et, à la fin, avant que ne s’ouvre une nouvelle tranche de vie, un extrait de lettre de Vincent aéré sur une grande page blanche. Zezelj, dont les travaux les plus personnels sont publiés, principalement, chez Mosquito (Babylone, Industriel, Les pédés), est édité pour ce récit graphique chez Glénat qui pour l’occasion, offre un véritable écrin à cet album. Format large (26 cm x 36,8 cm) couverture épaisse, toilé. Un contenant qui invite véritablement à ouvrir les pages, à les parcourir avidement.
Au-delà de l’écrin, le génie de Zezelj se lit dans la volonté du dessinateur de laisser le lecteur s’approprier l’instant qu’il restitue de la vie de Vincent Van Gogh. Il le place ainsi au plus près de l’artiste troublé, dans un dépouillement formel à la fois glaçant et sensible. Les séquences, toutes composées en noire et blanc, un noir et blanc dont Zezelj explore toutes les capacités suggestives : lumières, ombres, tensions et immersivités, agissent comme un contrepoids à l’œuvre même de Van Gogh dont la couleur, débordante et fourmillante, caractérisait l’œuvre. Ici l’absence de couleur place le récit dans la compréhension de l’homme. Un homme torturé, qui ne comprenait pas le monde qui l’entourait, pas plus que le monde ne le comprenait. Au détour d’une lettre écrite en 1880, Vincent exprime tout ce mal être dont il ne peut s’extraire : « Je suis, c’est certain, un homme de passions, capable de et prompt à me laisser aller à des actes irréfléchis que je regrette parfois ». Zezelj donne vie, par séquences et au travers de témoignages épars, à des éléments structurants de la vie de l’homme et de l’artiste. Un artiste envahit, dominé par ses pulsions que, peut-être, la peinture lui permettait parfois de canaliser. Un grand moment de lecture.
Danijel Zezelj – Van Gogh. Fragment d’une vie en peintures – Glénat