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La Première guerre mondiale : Les tranchées… (3ème partie)

La guerre des tranchées caractérise le conflit qui prend forme fin 1914 après que les mouvements amorcés à l’Est, au sud de la Belgique et sur toute une ligne allant de l’entrée de la Mer du Nord à la Suisse aient figé ce qui deviendra le front. Faces à faces d’une rare violence marqués par le lancement de centaine de millions d’obus sur les lignes ennemies, cette guerre de tranchées devait marquer à jamais l’histoire par les pertes humaines et les corps blessés dans leur chair. Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,/Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre./Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre./Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle clame Peguy dans son poème Eve en 1913. Difficile de qualifier une guerre de juste, cette première guerre mondiale ne l’était pas plus que les autres et l’horreur des tranchées devait le rappeler clairement… (voir notre première partie ici et notre deuxième partie évoquant les attaques « suicides » ici)

 Notre Mère la guerre - Leurre (0)

 

Le fusillé

Meurtris dans leur chair, subissant les assauts répétés de l’infanterie allemande, certains soldats ont osé dire non. Non je ne remonterais pas au front, non je ne veux plus me battre pour une cause qui m’échappe et dans de telles conditions. Au cours de la première guerre mondiale, le nombre de soldats français fusillés pour l’exemple s’élève à environ 600. Le chiffre peut paraitre insignifiant au regard du nombre de tués sur l’ensemble du front durant près de quatre ans. Pourtant c’est la symbolique qu’il faut retenir. Les hommes qui ne sont pas la plupart du temps du métier mais des agriculteurs, des instituteurs, des commerçants… se voient placés face à une situation qu’ils ne maitrisent pas. Simple appelés ayant effectué leur service militaire obligatoire, parfois en allant contre leurs convictions, ils n’ont jamais donné la mort et doivent soudainement effacer ce qu’ils sont, leur être intime pour se faire pion à l’usage de la nation.

Paroles de Poilus - Fusillé

Dans les tranchées ils deviennent cette chair à canon facile à brasser, facile à remplacer, facile à enterrer sur des champs de bataille gorgés de trous d’obus où ils trouvent parfois refuge pour agoniser. Mais qui se souci de leurs souffrances physiques et mentales ? Pas assez de temps et d’envie pour écouter les hommes, les comprendre, compatir avec eux lorsqu’ils voient tomber juste à côté d’eux un ami ou un camarade qui s’avérait parfois être le dernier rempart avant une aliénation programmée.

Dans ces conditions la réponse de l’Etat-major français restait bien souvent l’exemple. L’exemple pour éviter que d’autres hommes restent hommes, avec leurs faiblesses et leur personnalité que l’on tente de gommer pour faire face « convenablement » à l’ennemi de toujours.

Au début de la guerre les soldats condamnés à mort le sont pour des actes supposés de mutilation. Mais d’autres délits devaient eux-aussi être passible de la peine capitale : refus d’obéissance aux officiers face à l’ennemi (lorsqu’un général veut masquer ses fautes tactiques comme le montre par exemple de façon documentée l’album La faute au Midi, il est plus facile d’en reporter la responsabilité sur ses troupes), désertion ou abandon de poste, mutinerie, capitulation (!)… Les motifs les plus fantaisistes ont leur droit de cité dans les tribunaux de guerre se devant d’apporter un jugement rapide à un procès souvent bâclé car peu documenté et trop « orienté ». Les possibilités d’appel n’existaient pas, puisque le tribunal militaire dénommé Conseil de guerre spéciaux devait juger et rendre sa sentence dans les plus brefs délais. Dans les cas d’une condamnation à mort celle-ci était exécutable dans les 24h.

La charge d’exécuter la sentence était généralement dévolue aux jeunes recrues. Une balle à blanc était placée dans une des carabines pour que chacun des hommes du peloton puisse penser qu’il n’a pas « tué ».

Premier récit de soldats fusillés, celui tiré de l’album La faute au Midi. Rappelons les faits. Nous sommes au début de la guerre dites des frontières. En Lorraine l’armée française tente de contenir les assauts allemands de plus en plus vifs et organisés. Nous sommes le 21 août 1914, les soldats du XVème corps marchent dans la direction de Metz, sans se soucier d’une riposte possible dans une zone sensible. Un piège semble se préparer mais l’ordre de marche vient de Joffre en personne. Prévenu par un aviateur d’une embuscade tendue par les Allemands, le général Foch ironise de la situation et le renvoie promptement. Le reste est connu, une véritable boucherie s’en suivra… Avouer l’erreur stratégique est inconcevable. La responsabilité sera déléguée sur le XVème corps… Un corps de provençaux mal vu pour leur négligence… Pour l’exemple deux hommes seront condamnés à la peine capitale…

 La faute au midi - Fusillé

Dans Aio Zitelli ! est repris l’histoire d’un condamné corse, Joseph Gabrielli, berger de son état qui ne parlait ni ne comprenait véritablement le français. Le 8 juin 1915 il est blessé lors d’un combat et son officier l’envoi se faire soigner à l’arrière des lignes. Mais il ne réussira pas à rejoindre son poste et trouva refuge dans une cave d’un village proche de la ligne de front. Il fut condamné à la peine capitale pour abandon de poste. Il est exécuté une heure plus tard alors qu’il ne put se défendre et expliquer les raisons de son geste.  

Aio Zitelli ! - fusillé

Dans l’album Mathurin Soldat une scène de fusillé occupe deux pleines pages. On y découvre des soldats qui évoquent l’exécution d’un certain Galliot. Il aurait fallu le « foutre » en taule affirme l’un d’eux, plutôt que de le tuer. L’autre de répondre : Moi ce qui m’a choqué c’est ce défilé final, la procession devant le cadavre – pour nous prévenir – soit disant. Comme si on était tous des Galliot en puissance. On méritait pas ça, pas après l’année qu’on a passée… Ce dialogue révèle un des aspects de ces exécutions. Pour éviter que les actes de désertion, de mutilation ou de rébellion ne se propagent dans les troupes, le condamné était non seulement abattu par un peloton désigné mais recevait à cette suite, de la part d’un officier, une balle dans la tête, on est jamais trop prudent… Puis les hommes de l’unité du condamné étaient (souvent) invités à défiler devant le corps.  

 Mathurin Soldat - Fusillé

Le 16 avril 1917 l’armée française croit en ses chances sur le front de l’Aisne. Elle décide, sûre de son fait, de prendre les devants afin de créer une brèche dans les lignes allemandes, désorganiser les troupes et forcer la victoire. Plusieurs éléments d’analyse plaident en faveur d’une intervention, mais les troupes allemandes avaient anticipé cette offensive et s’étaient repliées de plusieurs dizaines de kilomètres pour économiser leurs troupes et amener les unités du général Nivelle sur un terrain plus favorable, celui du Chemin des Dames. Sur ce plateau tenu par les Allemands depuis 1914 avait été creusées des souterrain permettant le positionnement de plusieurs « nids » de mitrailleuses capables de faire de véritables cartons sur les troupes alliées devant avancer sur un terrain en pente. Le bilan de la première journée de combat est un cuisant échec sur ce secteur. Les chars sont détruits ou enlisés, les pertes humaines sont, elles, considérables (les chiffres évoqués sont de l’ordre de plus de 130 000 tués ou blessés sur la première semaine). Cette situation aboutira à un sentiment de révolte parmi une partie des troupes. Certains soldats créèrent ainsi une « mutinerie » et s’approprièrent le fameux chant de Craonne :

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés

(…)

Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau

 

Tardi évoque dans Putain de Guerre ! cet épisode de la guerre sur une double page qui s’achève par l’exécution du soldat François Paulet.

On y est retourné encore et encore, dit le narrateur, sans jamais réussir à prendre pied sur ce foutu plateau ! En bas la plaine était bleue. On pataugeait dans les viscères. Nous étions abandonnés entre les pattes d’un individu incompétent et buté, haut placé dans la hiérarchie des assassins.

La mutinerie du Chemin des Dames ne se fondait pas sur le refus de combattre. La plupart des soldats présents sur cette offensive étaient aguerris au combat depuis 1914. Ils pointaient seulement le manque de stratégie et d’adaptation des officiers décisionnaires.

Trois albums reprennent cette scène particulièrement tragique de la guerre. Le premier est donc celui de Tardi, que nous venons d’évoquer. La seconde histoire est issue d’un récit écrit par Régis Hautière et Paul Drouin, L’Exemple, publié dans le recueil Cicatrices de guerre(s), enfin le dernier, Le Chant du cygne, sera publié par les éditions Le Lombard fin août et a été écrit par Babouche, Dorison et Herzet. Nous vous proposons dans cet ordre des extraits de ces projets.

 Putain de guerre ! - fusillé

 Cicatrices de guerre - Fusillé

 CHANTDUCYGNE

Pour finir deux autres exemples tragiques tirés, pour le premier, de l’album Le Long hiver 1918 de Patrick Mallet et dans lequel le héros est accusé d’abandon de poste, et de Folies Bergères de Zidrou et Porcel dans lequel trois hommes passent au peloton d’exécution et dont un miraculeusement en réchappe…

Le Long Hiver - Fusillé

 Page 15

Pour en savoir plus je vous invite à consulter l’étude du CNDP « Pour mémoire : les fusillés de la Grande Guerre » (2011).

 

L’homme barbelé/ Le leurre 

Avancer sur le no man’s land, nous l’avons vu, s’apparentait à un véritable périple dont peu réchappaient. Le terrain difficile creusé par une multitude de trous d’obus, de cadavres en décomposition qui crevaient le moral des soldats passant près d’eux et qui leur exposaient un futur possible si ce n’est probable, les barbelés placés çà et là qui ralentissaient inexorablement l’avancée vers la tranchée adverse, tout concourait à faire des hommes lancés sur une attaque de véritables cadavres ambulants. Une image forte ou image-force est celle du soldat mort accroché, pendu, de manière désarticulée sur un barbelé. Pour Tardi le soldat gisait dans une position ridicule, il revêtait surtout une force symbolique, celle de l’homme ayant perdu de sa superbe, coincé là dans de simples fils, incapable de se dégager ayant essuyé le feu continu de l’ennemi. L’homme-barbelé marquait indéniablement les esprits.

Parfois un homme tombait sur le no man’s land coincé lui aussi entre des barbelé ou blessé et incapable de revenir vers sa tranchée. Il devenait ainsi pour l’adversaire un leurre idéal pour piéger l’ennemi. L’homme tombé sur le no man’s land en appelle à ses camarades d’infortune, à ses parents, à sa femme. Les cris qu’il déclamait devenaient de fait de véritables problèmes de conscience pour les copains de tranchée, notamment les plus proches, les potes, ceux qui partageaient la gamelle. Certains s’aventuraient ainsi hors de la tranchée pour porter secours à l’homme isolé, et devenait la cible privilégiée du mitrailleur adverse qui avait tout le temps d’ajuster son tir. Deux hommes, deux vies, pour le prix d’une…

Nous vous proposons dans l’ordre des cases exposant l’homme barbelé chez Tardi (C’était la guerre des tranchées), Gibrat (Mattéo T1), puis des extraits de leurres puisés chez Maadiar (Mathurin Soldat), Kurtzman et Severin (Frontline combat) et Kris/Maël (Notre mère la guerre).

 

 L’homme barbelé

C'était la guerre des tranchées - barbelés (2)

 

Matteo - Barbelés

 

Le Leurre

Mathurin Soldat - Leurre

 

Frontline Combat - Leurre

 

Notre Mère la guerre - Leurre (1)

 

A suivre !


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